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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Ainsi furent pris et retenus les deux comtes d’Angleterre, et mis en la halle de Lille en prison, et depuis envoyés en France devers le roi Philippe qui en eut grand’joie, et en sçut grand gré à ceux de Lille ; et dit adonc le roi et promit à ceux de la ville de Lille qu’il leur seroit guerdonné grandement, car ils avoient fait un beau service. Et quand Jacquemart d’Artevelle, qui se tenoit au Pont de fer, en sçut les nouvelles, il en lut durement courroucé, et brisa pour cette avenue son propos et son emprise, et donna à ses Flamands congé, et s’en retourna en la ville de Gand.


CHAPITRE CIX.


Comment le duc de Normandie fit très grand’assemblée de gens d’armes pour aller détruire tout le pays de Hainaut.


Nous retournerons, car la matière le requiert, aux guerres de Hainaut et à la contrevengeance que le roi Philippe y fit prendre par le dit duc de Normandie son ains-né fils. Le duc, au commandement et ordonnance du roi son père, fit son espécial mandement à être à Saint-Quentin et là environ, et se partit de Paris environ Pâques[1] l’an mil trois cent quarante, et vint à Saint-Quentin. Et là étoit avec lui le duc d’Athènes, le comte de Flandre, le comte d’Aucerre, le comte de Sancerre, le comte Raoul d’Eu, connétable de France, le comte de Porcien, le comte de Roussy, le comte de Braine, le comte de Grandpré, le sire de Coucy, le sire de, Craon, et grand’foison de noble chevalerie de Normandie et des Basses Marches.

Quand ils furent tous assemblés à Saint-Quentin et là environ, le connétable, le comte de Ghines, et les maréchaux de France, messire Robert Bertrand et messire Mathieu de Trye, regardèrent quel nombre de gens ils pouvoient être. Si trouvèrent qu’ils étoient bien six mille armures de fer, et huit mille, que brigands, que bidaux, que autres poursuivans l’ost. C’étoit assez, si comme ils disoient, pour combattre le comte de Hainaut et toute sa puissance. Si se mirent aux champs, par l’ordonnance des maréchaux, et se partirent de Saint-Quentin, et s’arroutèrent devers le Chastel en Cambrésis, et passèrent dehors Bohaing[2] et chevauchèrent tant qu’ils passèrent le Chastel en Cambrésis, et s’en vinrent loger le duc de Normandie et son ost en la ville de Montay sur la rivière de Selles. Or vous dirai-je une grand’appertise d’armes que messire Girard de Werchin, sénéchal de Hainaut pour le temps, fit et entreprit, laquelle doit bien être recordée et tenue en grand’prouesse.


CHAPITRE CX.


Comment le sénéchal de Hainaut fit une apperte escarmouche en l’ost du duc de Normandie, et comment les coureurs du duc ardirent plusieurs villes en Hainaut.


Le sénéchal de Hainaut dessus nommé sçut bien par des espies que le duc de Normandie étoit logé à Saint-Quentin, et que ses gens menaçoient durement le pays de Hainaut. Avec tout ce il sçut l’heure et la venue du dit duc, qui étoit arrêté à Montay, dehors la forteresse du Chastel en Cambrésis. Si s’avisa en soi-même, comme preux chevalier et entreprenant, qu’il iroit le duc escarmoucher et réveiller. Si pria aucuns chevaliers et écuyers, ce qu’il en put trouver de-lez lui, que ils voulsissent aller où il les mèneroit, et ils lui enconvenancèrent. Si se partit de son châtel de Werchin, environ soixante lances en sa compagnie tant seulement, et chevauchèrent depuis soleil esconsant ; et firent tant qu’ils vinrent à Forès, à l’issue de Hainaut, et à une petite lieue de Montay, et pouvoit être environ jour failli. Si très tôt qu’ils furent venus en la ville de Forès, il fit toutes ses gens arrêter en-my un champ, et leur fit restraindre leurs armures et ressangler leurs chevaux, et puis leur dit sa pensée et ce qu’il vouloit faire ; et ils en furent tous joyeux, et lui dirent qu’ils s’aventureroient volontiers avec lui, et ne lui fauldroîent jusques au mourir, et il leur dit : « Grands mercis. »

Avec lui étoient de chevaliers, messire Jacques du Sart, messire Henry de Husphalise, messire Oulphart de Ghistelle, messire Jean de Chasteler, le sire de Vertain, le sire de Wargny ; et des écuyers, Gille et Thierry de Sommain, Baudouin de Beaufort, Colebret de Bruille, Moreau de Lestines, Sandras d’Escarmaing, Jean de Robersart, Bridoul de Thians, et plusieurs autres. Puis chevauchèrent tout coiement, et vinrent à Montay, et se boutèrent en la ville, et

    lui-méme, mais son fils Robert de Ufford-le-Fitz qui aurait été fait prisonnier à cet endroit.

  1. Pâques était cette année le 19 avril.
  2. Bourg à quatre ou cinq lieues de Saint-Quentin.