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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

pillage ; et puis rentrèrent en leur tour. Encore se tenoient les batailles sur le mont de Castres, et tinrent tout le jour jusques après nonne que les coureurs revinrent de tous côtés. Dont eurent conseil là entr’eux moult grand ; et disoient les seigneurs que, tout considéré, ils n’étoient mie assez gens pour assiéger une si grand’ville que Valenciennes est. Si eurent finalement conseil de partir d’illec et d’eux retraire devers Cambray. Si s’en vinrent ce soir loger à Maing et à Fontenelles ; et là furent toute nuit et firent bon guet et grand. Lendemain ils s’en partirent, mais il ardirent Maing et Fontenelles, et toute l’abbaye qui étoit à madame de Valois, tante au dit duc et sœur germaine du roi son père. De quoi le duc fut trop courroucé ; et fit pendre ceux qui le feu y avoient mis et bouté. À ce département fut pararse la ville de Trith, le châtel et le moulin abattu, et Prouvy, Rouvegny, Thians, Monceaux, et tout le plat pays entre Cambray et Valenciennes.

Ce jour chevaucha tant le duc de Normandie[1] qu’il vint devant Escandeuvre, un bon châtel et fort du comte de Hainaut, séant sur la rivière d’Escaut, et qui moult grévoit ceux de Cambray avec ceux de la garnison de Thun-l’Évêque : duquel châtel d’Escandeuvre étoit capitaine et souverain messire Girard de Sassegnies, qui devant ce n’avoit eu aucune reproche de diffame, Or ne sçai-je que ce fut, ni qui l’enchanta, mais le duc n’eut mie sis devant la forteresse six jours quand elle lui fut rendue saine et entière, dont tout le pays fut émerveillé ; et en furent soupçonnés de trahison messire Girard de Sassegnies et un sien écuyer qui s’appeloit Robert de Marmaux. Ces deux en furent pris et encoulpés, et en moururent vilainement à Mons en Hainaut ; et ceux de Cambray abattirent le châtel d’Escandeuvre et emportèrent toute la pierre en Cambray, et en firent réparer et fortifier leur ville.


CHAPITRE CXIII.


Comment ceux de Douay et ceux de Lille issirent de leurs forteresses et ardirent tout le plat pays d’Ostrevant.


Après la prise et la destruction d’Escandeuvre, se retraist le duc Jean de Normandie en la cité de Cambray, et donna à une partie de ses gens d’armes congé ; et les autres envoya ès garnisons de Lille, de Douay et des autres forteresses voisines. Et avint, en cette même semaine que Escandeuvre fut prise, que les François qui dedans Douay se tenoient, issirent hors et les François avec eux ; et pouvoient être environ trois cents lances, et les conduisoit messire Louis de Savoye et messire Aymery de Poitiers, le comte de Gennève, le sire de Villers et le Gallois de la Baume avec le seigneur de Wauvrin et le sire de Wasiers ; et vinrent en celle chevauchée ardoir en Hainaut ce beau plein pays d’Ostrevant, et n’y demeura rien dehors les forteresses : dont ceux de Bouchaing furent moult courroucés, car ils véoient les feux et les fumières entour eux ; et si n’y pouvoient remède mettre. Si envoyèrent à Valenciennes en disant que, si de nuit ils vouloient issir environ cinq ou six cents armures de fer, ils porteroient grand dommage aux François qui étoient encore tous cois et logés au plein pays. Mais ceux de Valenciennes n’eurent point conseil de partir ni vuider leur ville : par ainsi n’eurent les François point d’encontre. Si ardirent-ils Anich et la moitié d’Ascons, Escaudain, Here, Somain, Denaing, Montegny, Warlin, Wargni, Aubregicourt, Saulz, Ruet, Neufville, le lieu Saint-Amand, et tous les villages qui en ce pays étoient ; et emmenèrent grand’pillage et grand’proie en leurs garnisons.

Et quand ceux de Douay furent retraits, les soudoyers de Bouchaing issirent hors et chevauchèrent et ardirent l’autre partie de la ville d’Ascon, qui se tenoit françoise, et tous les villages françois jusques aux portes de Douay, et la ville d’Esquerchin.

Ainsi que je vous ai ci-dessus devisé, les garnisons des frontières étoient pourvues et garnies de gens d’armes ; et souvent y avoit des chevauchées, des rencontres et des faits d’armes des uns aux autres, ainsi que en tels besognes appartient. Si avint en cette même saison que soudoyers allemands, qui se tenoient de par l’évêque de Cambray en la Malmaison, à deux lieues du Castel en Cambrésis, et marchissant d’autre part plus près de Landrecies dont le sire

  1. La plupart des chroniques disent que Philippe de Valois était en personne au siège d’Escandeuvre et le font durer beaucoup plus long-temps que Froissart. Suivant eux, ce château était assiégé depuis environ quinze jours quand le roi y arriva ; et il ne se rendit que plusieurs semaines après son arrivée.