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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

bon chevalier messire Garnier de Clisson étoit trépassé des plaies et des blessures qu’il avoit reçues en soi défendant, si comme voir étoit, dont ce fut pitié et dommage : si commanda tantôt que chacun s’armât pour recommencer l’assaut. Chacun à son commandement s’appareilla, au mieux qu’il put, et allèrent recommencer l’assaut moult vigoureusement. Et adonc le comte fit traire avant aucuns instrumens qui faits étoient, et grands merrains pour jeter outre les fossés pour venir au mur du châtel. Ceux de dedans se défendirent très durement de traire et jeter pierres, feu et pots pleins de chaux, jusques environ midi. Adonc les fit requérir le comte qu’ils se voulsissent rendre et le tenir à seigneur, et il leur pardonneroit son mautalent. Ils eurent conseil longuement, tant que le comte fit cesser l’assaut : au dernier, quand ils se furent longuement conseillés, ils se rendirent de plein accord au dit comte, sauf leurs corps, leurs membres et leur avoir. Si entra ledit comte dedans le châtel de Brest à peu de gens, et reçut la féauté de tous les hommes de la châtellenie, et y établit un chevalier pour châtelain en qui moult se fioit ; puis revint à ses tentes tout joyeux.


CHAPITRE CL.


Comment le comte de Montfort se partit de Brest et s’en vint devant la cité de Rennes, et comment ceux de la cité se rendirent à lui et lui firent féauté et hommage.


Quand le comte de Montfort fut revenu entre ses gens et il eut établi ses gardes au châtel de Brest, il eut conseil qu’il se trairoit devers la cité de Rennes, qui étoit assez près de là. Si fit déloger ses gens et traire devers le chemin de Rennes ; et partout où il venoit il faisoit rendre toute manière de gens et faire féauté à lui comme à leur droit seigneur, et emmenoit tous ceux qui se pouvoient aider avec lui, pour enfortier son ost, et ils ne l’osoient refuser ni delaier, pour doute de leurs corps ; et alla tant ainsi qu’il vint devant la cité de Rennes. Si fit tendre ses tentes, et ses gens loger entour la ville et entour les faubourgs.

Quand ceux de la cité de Rennes virent cet ost loger entour leur ville et entour les faubourgs, ils firent grand semblant d’eux défendre ; et avoient avec eux un gentilhomme chevalier, preux et hardi durement, qui demeuroit assez près de là, et l’aimoient entre eux trop fort pour la loyauté de lui, et l’avoient élu et pris pour leur gouverneur et capitaine, et avoit nom messire Henry de Pennefort. Si avint un jour qu’il eut volonté de destourber les gens de l’ost ; si pourchassa tant qu’il eut deux cents hommes de bonne volonté, et issit hors à l’aube du jour, et se férit en l’un des côtés de l’ost à toute sa compagnie : si abattit tentes et logis, et en tua aucuns, par quoi le cri et le hahay monta tantôt en l’ost ; et cria chacun alarme, et se commencèrent à défendre. Droit à ce point se repairoit un chevalier qui avoit fait le guet cette nuit pardevers l’ost à toute sa compagnie ; si ouït le cri et le hahay, et se traist cette part au férir des éperons, et encontra le chevalier et toute sa compagnie qui s’en retournoient vers la cité : si leur coururent sus vigoureusement, et eurent bon poignis et fort. Après eux venoient ceux de l’ost courant, à fait qu’ils étoient armés.

Quand ceux de la cité virent le faix qui leur croissoit, ils se déconfirent et s’enfuirent vers la cité tant qu’ils purent ; mais il en demeura grand’foison de morts et de pris ; et si fut pris le chevalier que tant aimoient, messire Henry de Pennefort, et amené devant le comte qui le vit volontiers.

Quand tous furent retournés à leur ost, le comte eut conseil qu’il enverroit le chevalier prisonnier par devant la cité, et feroit requérir les bourgeois qu’ils lui voulsissent rendre la cité et lui faire féauté, comme à leur seigneur, ou il feroit pendre le chevalier devant la porte, pour ce qu’il avoit entendu que le chevalier étoit trop fort aimé de toute la communauté de Rennes. Ainsi fut fait que conseillé fut. Quand ceux de la cité virent cette requête, et virent le chevalier qu’ils aimoient tant à tel meschef, si en eurent grand’pitié, et se trairent en la cité pour eux conseiller sur cette requête qu’on leur avoit faite : si se conseillèrent moult longuement, car grand’dissention étoit entr’eux ; car le commun avoit grand’pitié du chevalier qu’ils aimoient durement, et avoient peu de pourvéances pour le siége longuement soutenir. Si s’accordèrent finalement tous à la paix ; et les grands bourgeois qui étoient bien pourvus ne s’y vouloient accorder : si monteplia la dissention si dure que les grands bourgeois, qui éloient tous d’un lignage, se trairent tous d’une part et dirent tout en haut