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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

dont avinrent de grands et merveilleux faits d’armes, ainsi comme vous pourrez ouïr. Quand ils furent venus à Nantes, où ils trouvèrent messire Charles de Blois, ils eurent conseil qu’ils assiégeroient la cité de Rennes. Si issirent de Nantes et allèrent assiéger Rennes tout autour.

La comtesse de Montfort par avant l’avoit si fort garnie et rafraîchie de gens d’armes et de tout ce qu’il afféroit, que rien n’y failloit ; et y avoit établi un vaillant chevalier et hardi pour capitaine, qu’on appeloit messire Guillaume Quadudal, gentilhomme durement, du pays de Bretagne. Aussi avoit la dite comtesse mis grands garnisons par toutes les autres cités, châteaux et bonnes villes qui à li obéissoient ; et partout bons capitaines, des gentilshommes du pays, qui à li se tenoient et obéissoient, lesquels avoit tous acquis par beau parler, par promettre et par donner ; car elle n’y vouloit rien épargner. Desquels l’évêque de Léon, messire Almaury de Cliçon, messire Yvain de Treseguidi, le sire de Landernaux, le châtelain de Guingamp, messire Henry et messire Olivier de Pennefort, messire Geffroy de Malestroit, messire Guillaume de Quadudal, les deux frères de Quintin, messire Geoffroi de Maillechat, messire Robert de Guiche, messire Jean de Kerriec y étoient, et plusieurs autres chevaliers et écuyers que je ne sais mie tous nommer. Aussi en y avoit de l’accord messire Charles Blois grand’foison, qui à lui se tenoient, avec messire Hervey de Léon, qui fut de premier de l’accord, du comte de Montfort et maître de son conseil, jusques à tant que la cité de Nantes fut rendue, et le comte de Montfort pris, ainsi que vous avez ouï. De quoi le dit messire Hervey fut durement blâmé ; car, on vouloit dire qu’il avoit trait les bourgeois à ce et pourchassé la prisent du comte de Montfort. Ce apparoit à ce que, depuis ce fait, ce fut celui qui plus se pénoit de gréver la comtesse de Montfort et ses aidans.


CHAPITRE CLXXI.


Comment les seigneurs de France firent plusieurs assauts devant Rennes ; et comment la comtesse de Montfort envoya au roi d’Angleterre querre secours ; et sur quelle condition ce fut.


Messire Charles deBlois et les seigneurs dessus nommés sirent assez longuement devant la cité de Rennes et y firent grands dommages et plusieurs assauts par les Espaignols et par les Gennevois ; et ceux de dedans se défendirent aussi fortement et vaillamment, par le conseil du seigneur de Quadudal, et si sagement que ceux du dehors y perdirent plus souvent qu’ils n’y gagnèrent. En icelui temps, sitôt que la dite comtesse sçut que ces seigneurs de France étoient venus en Bretagne à si grand’puissance, elle envoya messire Almaury de Cliçon en Angleterre parler au roi Édouard, et pour prier et requérir secours et aide, par telle condition que le jeune enfant, fils du comte de Monfort et de la dite comtesse, prendroit à femme l’une des jeunes filles du roi d’Angleterre, et s’appelleroit duchesse de Bretagne. Le roi Édouard étoit adonc à Londres, et fêtoit tant qu’il pouvoit le comte de Salebrin, qui tantôt étoit revenu de sa prison. Si fit moult grand’fête et honneur à messire Almaury de Cliçon, quand il fut à lui venu ; car il étoit moult gentil homme ; et lui octroya toute sa requête assez brièvement, car il y véoit son avantage en deux manières. Car il lui fut avis que c’étoit grand’chose et noble de la duché de Bretagne, s’il la pouvoit conquérir ; et si étoit la plus belle entrée qu’il pouvoit avoir pour conquérir le royaume de France, à quoi il tendoit. Si commanda à messire Gautier de Mauny qu’il aimoit moult, car moult l’avoit bien servi et loyalement en plusieurs besognes périlleuses, qu’il prît tant de gens d’armes que le dit messire Almaury deviseroit, et qu’il lui suffiroit, et s’appareillât le plutôt qu’il pourroit pour aller aider à la comtesse de Montfort ; et prit jusques à trois ou quatre mille archers des meilleurs d’Angleterre. Le dit messire Gautier fit moult volontiers le commandement son seigneur : si s’appareilla le plutôt qu’il put, et se mit en mer avec le dit messire Almaury. Avec lui allèrent les deux frères de Leyndehale, messire Louis et messire Jean, le Haze de Brabant, messire Hubert de Frenay, messire Alain de Sirehonde et plusieurs autres que je ne sais mie nommer, et avec eux six mille archers. Mais un grand tourment et vent contraire les prit en mer, parquoi il les convint demeurer sur la mer par le terme de soixante jours, ainçois qu’ils pussent venir à Hainebon, où la comtesse de Montfort les attendoit de jour en jour, à grand’mésaise de cœur, pour le grand meschef qu’elle savoit que ses gens soutenoient, qui étoient dedans la cité de Rennes, où vaillamment ils se tenoient.