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LIVRE I. — PARTIE I.

qu’ils firent le quart jour que l’ost fut venu là, malgré leur capitaine, messire Regnault de Guingant ; et le tuèrent en my le marché, pourtant qu’il ne s’y vouloit accorder. Quand messire Louis d’Espaigne eut été en la ville de Dignant par deux jours, et eut pris la féauté des bourgeois, il leur donna pour capitaine celui Girard de Maulain, écuyer, qu’il trouva laiens prisonnier, et messire Pierre Portebœuf avec lui : puis s’en alla atout son ost devers une moult grosse ville séant sur la mer que on appeloit Guerrande, et l’assiégea par terre ; et trouva assez près grand’foison de naves et vaisseaux pleins de vins que marchands y avoient là menés de Poitou et de la Rochelle pour vendre. Si eurent tantôt vendu les marchands leurs vins, et furent mal payés. Et puis fit le dit messire Louis prendre toutes les naves, et monter gens d’armes dedans, et partie des Espaignols et des Gennevois, et puis fit lendemain assaillir la ville par terre et par mer, qui ne se put longuement défendre : ains fut assez tôt gagnée par force, et tantôt robée ; et mis à l’épée, sans merci, hommes et femmes et enfants ; et cinq églises arses et violées, dont messire Louis fut durement courroucé. Si fit tantôt pour ce pendre vingt-quatre de ceux qui ce avoient fait. Là fut gagné grand trésor, si que chacun en eut tant qu’il put porter ; car la ville étoit grande, riche et marchande.

Quand cette grosse ville, qui Guerrande étoit appelée, fut ainsi gagnée, robée et exilliée, ils ne sçurent plus avant où aller pour gagner. Si se mit le dit messire Louis en ces vaisseaux qu’il avoit trouvés sur mer en la compagnie de messire Othon Dorie et d’aucuns Gennevois et Espaignols pour aller aucune part, pour aventurer sur la marine ; et le vicomte de Rohan, l’évêque de Léon, messire Hervey son neveu, et tous les autres s’en revinrent en l’ost messire Charles de Blois, qui encore séoit devant le châtel d’Auroy. Si trouvèrent grand’foison de seigneurs et de chevaliers de France, qui nouvellement étoient là venus ; tels que messire Louis de Poitiers comte de Valentine, le comte d’Aucerre, le comte de Porcien, le comte de Joigny, le comte de Boulogne, et plusieurs autres que le roi Philippe y avoit envoyés pour reconforter son neveu ; et aucuns y étoient venus de leur volonté, pour venir voir et servir messire Charles de Blois. Et encore n’étoit le fort châtel d’Auroy gagné ; mais ceux de dedans étoient si près menés et si oppressés de famine, qu’ils avoient mangé par huit jours tous leurs chevaux ; et ne les voulut-on prendre à mercy s’ils ne se rendoient simplement. Quand ils virent que mourir les convenoit, ils issirent hors couvertement par nuit et se mirent en la volonté de Dieu, et passèrent tout parmi l’ost, à l’un des côtés, dont aucuns furent aperçus et tués. Messire Henry de Penefort et messire Olivier son frère et plusieurs autres se sauvèrent et échappèrent par un boschet qui là étoit, et s’en allèrent droit à Hainebon devers la comtesse et les compagnons chevaliers anglois et bretons qui les reçurent liement.


CHAPITRE CLXXX.


Comment, après la prise d’Auroy, messire Charles de Blois alla assiéger Vennes, laquelle se rendit à lui.


Ainsi reconquit messire Charles de Blois le fort châtel d’Auroy, par affamer ceux qui le gardoient, où il avoit sis par l’espace de dix semaines et plus. Si le fit refaire et rappareiller, et bien garnir de gens d’armes et de toutes pourvéances, et puis s’en partit et alla à tout son ost assiéger la cité de Vennes, dont messire Geffroy de Malestroit étoit capitaine, et se logea tout autour. Lendemain, aucuns compagnons bretons et soudoyers qui gissoient en une ville qu’on appelle Ployermel, issirent hors et se mirent en aventure pour gagner : si vinrent assaillir l’ost messire Charles, et se férirent en l’un des côtés secrètement, mais ils furent enclos, quand l’ost fut estourmi, et perdirent de leurs gens grossement : les autres s’enfuirent, et furent suivis jusques assez près de Ployermel, qui étoit assez près de Vennes. Quand ceux de l’ost qui étoient armés furent revenus de la chasse, ils allèrent, de ce retour même, assaillir la ville de Vennes fortement et roidement, et gagnèrent par force les barrières jusques à la porte de la cité.

Là eut très fort assaut, et plusieurs morts et navrés d’une part et d’autre, et dura jusques à la nuit. Adonc fut accordé un répit qui devoit durer lendemain tout le jour, pour les bourgeois conseiller, s’ils se voudroient rendre ou non. Lendemain ils furent si conseillés qu’ils se rendirent, mau-gré messire Geoffroy de Malestroit