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LIVRE I. — PARTIE I.

Si firent tant le dit messire Gautier et ses compagnons, que les fossés furent emplis de l’un des côtés d’estrain et de bois, parquoi ils vinrent jusques aux murs et piquèrent tant de grands mails et pics de fer et de marteaux, que le mur fut troué une toise de large : si entrèrent les dits Anglois et Bretons dedans ce châtel par force, et tuèrent tous ceux qu’ils y trouvèrent, et se logèrent là endroit. Lendemain ils se mirent à chemin et allèrent par telle manière qu’ils vinrent à Hainebon. Et d’autre part Girart de Maulain qui étoit à Dignant venu quérir le secours, et qui l’emmenoit devers Faouet exploita tant, avec ceux qu’il emmenoit, qu’ils vinrent à Faouet, et trouvèrent que les Anglois et les Bretons s’en étoient partis. Si issit Régnier de Maulain contre eux et les reçut liement, puis après dîner s’en retournèrent à Dignant.


CHAPITRE CLXXXV.


Comment la comtesse de Montfort reçut liement messire Gautier de Mauny et ses compagnons ; et comment la ville de Craais se rendit à messire Charles de Blois.


Quand la comtesse de Montfort sçut les nouvelles de la revenue des dessus dits Anglois et Bretons, elle en fut grandement réjouie ; si alla contre eux et les fêta liement et baisa et accola chacun de grand cœur ; et avoit fait appareiller au châtel pour mieux eux fêter, et donna à dîner moult noblement à tous les chevaliers et écuyers de renom, et leur demanda moult intentivement de leurs aventures, combien qu’elle en sçût jà grand’partie. Chacun lui conta ce qu’il en savoit, et des biens faisans ce que chacun en avoit vu. Là endroit furent ramentues maintes prouesses et plusieurs travaux, maint grand fait d’armes et périlleux, et maintes hardies entreprises faites par ceux qui là furent ; ce peut et doit savoir chacun qui a été souvent en armes, et les doit-on tenir et réputer pour preux : mais sur tous emportoit la huée et le chapelet[1] messire Gautier de Mauny.

À ce point que ces seigneurs anglois et bretons furent revenus à Hainebon, messire Charles de Blois avoit conquis la bonne cité de Vennes, et avoit asiégé la ville que on appelle Craais. La comtesse de Montfort et messire Gautier de Mauny envoyèrent tantôt grands messages au roi Édouard pour lui signifier comment messire Charles de Blois et les autres seigneurs de France et leurs aidans avoient reconquis les cités de Rennes, Vennes et les autres bonnes villes et châteaux de Bretagne ; et qu’ils conquerroient tout le remenant, s’il ne les venoit secourir brièvement. Ces messages se partirent de Hainebon et s’en allèrent en Angleterre tant qu’ils purent, et arrivèrent en Cornuaille, et enquirent et demandèrent là du roi où ils le trouveroient. Si leur fut dit qu’il étoit à Windesore. Si chevauchèrent celle part à grand exploit.

Or nous souffrirons-nous un petit de ces messagers à parler, et retournerons à messire Charles de Blois et à ceux de son côté, qui avoit assiégé la ville de Craais ; et tant l’estraignirent et contraignirent par assauts et par engins, qu’ils ne se purent plus tenir et se rendirent à messire Charles de Blois, sauf leurs corps et leur avoir : lequel messire Charles les prit à mercy ; et ceux de Craais lui jurèrent féauté et hommage et le reconnurent à seigneur. Si y mit le dit messire Charles nouveaux officiers et un bon chevalier à capitaine ; et séjournèrent là les dits seigneurs, pour eux et leurs gens rafraîchir, bien quinze jours. Là en dedans eurent conseil et avis qu’ils se trairoient devant Hainebon.


CHAPITRE CLXXXVI.


Comment messire Charles de Blois se partit de Craais et vint mettre le siége devant Hainebon ; et comment messire Louis d’Espaigne y vint.


Adonc se partirent les dessus dits seigneurs et chevaliers de France de Craais, et se trairent moult arréement devant la forte ville de Hainebon, qui grandement étoit rafraîchie et renforcée, ravitaillée et pourvue de toute artillerie. Si l’assiégèrent tout autour si avant comme assiéger la purent. Le quatrième jour après que ces seigneurs se furent mis et traits à siége, y vint messire Louis d’Espaigne qui s’étoit tenu en la cité de Rennes bien six semaines, et là fait curer et médeciner ses plaies. Si le virent tous les seigneurs moult volontiers et le reçurent à grand’joie ; car il étoit moult honoré et aimé entre eux, et tenu pour très bon homme d’armes et vaillant chevalier ; et tel étoit-il vraiment ; et aussi il avoit bien cause qu’ils le fêtassent, car ils ne l’avoient

  1. En avait la principale gloire et le chapeau, ou la couronne.