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LIVRE I. — PARTIE I.

tenir et défendre la cité. Les Bretons qui devant étoient, comme tous forcenés de ce qu’il leur sembloit que perdue l’avoient si simplement, s’aventuroient d’assaillir durement et courageusement, et se hâtoient d’eux aventurer, pourquoi ceux qui se tenoient devant Rennes et ceux qui étoient aussi devant Hainebon ne leur vinssent, pour eux briser leur emprise. Dont il avint que ces Bretons qui là étoient firent et livrèrent à ladite cité un assaut si dur et si bien ordonné, et si courageusement s’y éprouvèrent les assaillans, chevaliers et écuyers, et mêmement les bons hommes du pays, et tant donnèrent à faire à ceux de dedans, qu’ils conquirent les barrières du bourg, et puis les portes de la cité, et entrèrent dedans par force et par prouesse, voulsissent ou non les Anglois ; et furent mis en chasse. Et moult y en eut adonc grand’foison de morts et de navrés, et par espécial messire Robert d’Artois y fut durement navré ; et à grand meschef fut-il sauvé et gardé d’être pris ; et se partit par une poterne derrière, le baron de Stanford avec lui, et ceux qui échapper purent, et chevauchèrent devers Hainebon. Et là fut pris prisonnier de messire Hervé de Léon, le sire Despensier d’Angleterre, fils jadis de messire Huon le Despensier, dont ce livre fait mention au commencement ; mais il fut si durement blessé à cet assaut qu’il ne vesquit depuis que trois jours.

Ainsi eurent les François et reconquirent la ville et la cité de Vennes, et mirent hors tous leurs ennemis par sens et par prouesse ; de quoi les seigneurs d’Angleterre qui séoient devant Rennes furent durement courroucés, et aussi fut la dite comtesse de Montfort, qui se tenoit à Hainebon ; mais amender ne le purent quant à cette fois. Si demeura là messire Robert d’Artois un temps blessé et navré, si comme vous avez ouï. En la fin il fut conseillé et dit, pour soi mieux médeciner et guérir, qu’il s’en retournât en Angleterre ; car là trouveroit-il sirurgiens et mires à volonté. Si crut ce conseil, dont il fit folie ; car au retourner en Angleterre, il fut durement grevé et appressé de la marine ; et s’en émurent ses plaies tellement que, quand il fut venu et apporté à Londres, il ne vesquit pas longuement depuis ; ainçois mourut de cette maladie[1] ; dont ce fut dommage, car il étoit courtois chevalier, preux et hardi ; et du plus noble sang du monde. Si fut enseveli à Saint-Paul à Londres, et lui fit le roi anglois faire son obsèque aussi solennellement comme si c’eût été son cousin germain le comte Derby. Et fut le dit messire Robert moult durement plaint du roi, de la roine, des seigneurs et dames d’Angleterre, Si très tôt que messire Robert d’Artois fut trépassé de ce siècle, et que le roi anglois en sçut la nouvelle, il en fut si courroucé qu’il en jura et dit tout haut, oyans tous ceux qui ouïr le purent, que jamais n’entendroit à autre chose si auroit vengé la mort de lui, et iroit lui-même en Bretagne, et atourneroit tel le pays que à quarante ans après il ne seroit pas recouvré. Si fit le roi anglois tantôt escripre lettres et mander par tout son royaume que chacun, noble et non noble, fût appareillé pour mouvoir et partir avec lui, au chef d’un mois ; et fit faire grand amas de naves et de vaisseaux, et bien pourvoir et étoffer de ce qu’il appartenoit. Au chef d’un mois il se mit en mer à grand’navie, et vint prendre port assez près de Vennes, là où messire Robert d’Artois et sa compagnie arrivèrent quand ils vinrent en Bretagne. Si descendirent à terre et mirent par trois jours hors leurs chevaux et leurs pourvéances ; et puis le quatrième jour ils chevauchèrent pardevers Vennes. Et toujours se tenoit le siége du comte de Salebrin et du comte de Pennebruich et des Anglois dessus dits, devant la cité de Rennes.


CHAPITRE CCIII.


Comment le roi d’Angleterre mit le siége devant Vennes ; et comment la comtesse de Montfort le vint voir et fêtoyer.


Tant exploita le roi anglois, depuis qu’il eut pris terre en Bretagne, qu’il vint atout son ost devant Vennes, et l’assiégea de tous points[2].

  1. La blessure que ce prince avait reçue à la cuisse ne fut pas la seule cause de sa mort ; les autres historiens contemporains disent que la dyssenterie dont il fut attaqué ne contribua pas peu à le conduire au tombeau. Quoiqu’il en soit, on ignore la date précise de sa mort. On sait seulement qu’il vivait encore le 5 octobre 1342, mais qu’on craignait alors pour sa vie, ce qui suppose qu’il avait été blessé antérieurement à cette époque ; et qu’il était certainement mort avant le 20 novembre. Il l’était même depuis quelque temps, s’il faut en croire Knighton, suivant lequel ce prince avait déjà terminé sa carrière, lorsque Édouard III arriva en Bretagne quelques jours avant la Toussaint de cette année 1342.
  2. Robert d’Avesbury nous a conservé une lettre dans laquelle Édouard rend compte succinctement à son fils de