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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

le roi de France l’eût tenu en son aïr il n’en eût pas moins fait qu’il fit de messire Olivier de Cliçon et des autres qui avoient été l’année passée décolés à Paris. Si eut le dit messire Godefroy amis en voie, qui lui dénoncèrent comment le roi étoit dur informé sur lui et mal mené. Si partit le dit chevalier et vida le royaume de France, le plus tôt qu’il put, et s’en vint en Brabant de-lez le duc Jean de Brabant son cousin, qui le reçut liement. Si demeura là un grand temps, et dépendoit là sa revenue qu’il avoit en Brabant ; car en France n’avoit-il rien : mais avoit le roi saisi toute la terre de Cotentin et en fesoit lever les profits. Ainsy eschéy le dit chevalier en danger, et ne pouvoit revenir en l’amour du roi de France, pour chose que le duc de Brabant sçut ni put prier. Cette haine coûta depuis si grossement au royaume de France, et par espécial au pays de Normandie, que les traces en parurent cent ans après, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire.


CHAPITRE CCXLVII.


Comment le roi d’Angleterre vint à l’Escluse et amena avec lui son fils le prince de Galles, en intention de le faire seigneur de Flandre, par le consentement de Jacques d’Artevelle.


En ce temps régnoit encore au pays de Flandre, et en grand’prospérité et puissance, ce bourgeois de Gand, Jacques d’Artevelle ; et étoit si bien du roi d’Angleterre qu’il vouloit ; car il lui promettoit qu’il le feroit seigneur et héritier de Flandre, et en revêtiroit son fils le prince de Galles, et feroit de la comté de Flandre une duché. De quoi, sur cette entente, le roi d’Angleterre étoit en cette saison, environ la Saint-Jean-Baptiste[1], l’an mil trois cent quarante-cinq, venu à l’Escluse à grand’foison de baronnie et de chevalerie d’Angleterre ; et avoit là amené le jeune prince de Galles son fils sur les promesses de ce d’Artevelle. Si se tenoit le dit roi et toute sa navie au hâvre de l’Escluse, et aussi son tinel ; et là le venoient voir et visiter ses amis de Flandre. Et là eut là plusieurs parlemens entre le roi d’Angleterre et d’Artevelle d’une part, et les consaulx des bonnes villes d’autre, sur l’état dessus dit ; dont ceux du pays n’étoient mie bien d’accord au roi, ni à Artevelle, qui prêchoit sa querelle de déshériter le comte Louis leur naturel seigneur, et son jeune fils Louis, et hériter le fils du roi d’Angleterre ; cette chose n’eussent-ils faite jamais. Donc, au dernier parlement qui avoit été à l’Escluse, dedans la navie du roi d’Angleterre que on appeloit Katherine, qui étoit si grande et si grosse que merveilles étoit à regarder, ils avoient répondu d’un commun accord, et dit ainsi : « Cher sire, vous nous requérez d’une chose moult pesant et qui, au temps avenir, pourroit trop toucher le pays de Flandre et nos hoirs. Voir est que nous ne savons aujourd’hui au monde seigneur de qui nous aimerions tant le profit et l’avancement, que nous ferions de vous : mais cette chose nous ne pouvons pas faire de nous tant seulement, si toute la communauté de Flandre entièrement ne s’y accorde. Si se retraira chacun devers sa ville, et remontrerons cette besogne généralement aux hommes de notre ville ; et où la plus saine partie se voudra accorder, nous l’accorderons aussi : et serons ci arrière dedans un mois, et vous répondrons si à point, que vous en serez bien contens. » Le roi d’Angleterre et d’Artevelle n’en purent adonc avoir d’autre réponse ; et l’eussent bien avoir voulu plus bref, s’ils eussent pu ; mais nennin. Si répondit le roi : « À la bonne heure. » Ainsi se départit ce parlement, et retournèrent les consautx des bonnes villes en leurs lieux. Or demeura Jacques d’Artevelle encore un petit de-lez le roi d’Angleterre, pour cause de ce que le roi se découvroit à lui fiablement de ses besognes ; et lui promettoit toudis et assuroit qu’il le feroit venir à son entente. Mais non fit, si comme vous orrez avant recorder ; car il se déçut quand il demeura derrière, et qu’il ne vint à Gand aussitôt que les bourgeois qui avoient été envoyés à l’Escluse à parlement, de par tout le corps de la ville.

    Brabant. S’il n’eût été banni de France qu’en 1345, il n’aurait pas fait un long séjour en Brabant, puisqu’il est certain qu’il était en Angleterre et qu’il avait reconnu Édouard pour roi de France et lui avait fait hommage en cette qualité avant le 13 juin de cette même année. Nous apprenons ces faits des lettres par lesquelles Édouard s’engage à le protéger contre tous, à ne faire ni paix ni trêve avec le roi de France qu’il n’y soit compris, et à le remettre en possession de ses terres de Normandie, dès qu’il se sera rendu maître de cette province.

  1. Édouard s’embarqua le dimanche 3 juillet de cette année dans le port de Sandwich.