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LIVRE I. — PARTIE I.


CHAPITRE CCLII.


Comment le duc de Normandie prit Miremont et Ville-Franche et mit le siége devant Angoulême.


Tantôt après la fête de Noël, le duc de Normandie se partit de Toulouse atout son ost, et fit devant chevaucher ses maréchaux, le sire de Montmorency et le sire de Saint-Venant. Si se trairent tantôt et premièrement devant le châtel de Miremont que les Anglois avoient conquis en cette saison : si l’assaillirent fortement et durement. À ce jour il avoit dedans environ cent Anglois qui le gardoient, avec le capitaine, un très bon écuyer, qui s’appeloit Jean de Bristo. Cil avec ses compagnons le défendit tant qu’il put ; mais il y eut si dur assaut et si fort, car messire Louis d’Espaigne étoit là à grand’foison d’arbalétriers gennevois qui point ne s’épargnoient, que ceux du châtel ne se sçurent ni purent oncques si bien défendre que par force ils ne fussent pris et le châtel conquis, et mort la plus grand’partie de ceux qui étoient dedans, et mêmement le capitaine. Si le rafraîchirent les deux maréchaux de nouvelles gens, et puis passèrent outre et vinrent devant Ville-Franche en Agénois. Là s’arrêta tout l’ost, et l’environnèrent et puis l’assaillirent fortement. Adonc n’y étoit point le capitaine, messire Thomas Kok, mais étoit à Bordeaux devers le comte Derby qui l’avoit mandé. Tous ceux qui étoient dedans Ville-Franche ce jour se défendirent vaillamment ; mais finablement ils furent pris par force, et toute la ville courue et arse, sans déport, et occis la plus grand’partie des soudoyers qui la gardoient. Et quand ils en eurent ainsi exploité, ils passèrent outre et laissèrent le châtel tout entier, et sans abattre, dont depuis ils se repentirent ; puis se trairent devant la cité d’Angoulême, et l’assiégèrent tout entour ; car ils étoient tant de gens que bien le pouvoient faire. Dedans avoit grand’garnison de par les Anglois et un écuyer à capitaine, qui s’appeloit Jean de Norvich.


CHAPITRE CCLIII.


Comment le comte Derby envoya grand’garnison de gens d’armes dedans Ville-Franche ; et envoya le comte de Pennebruich plusieurs autres chevaliers dedans Aiguillon.


Quand le comte Derby, qui se tenoit en la cité de Bordeaux, entendit que le duc de Normandie et cils seigneurs de France étoient venus à si grand ost pour reconquérir villes, cités et châteaux que conquis avoient, et jà avoit reconquis Miremont et Ville-Franche, et toute robée et arse, hors-mis le châtel, il s’avisa d’une chose qui bonne lui sembla. Il envoya tantôt quatre chevaliers des siens, ès quels mieux se fioit, et leur dit qu’ils prissent jusques à soixante ou quatre-vingts armures de fer et trois cents archers, et s’en allassent devers Ville-Franche, et prissent le châtel qui étoit demeuré vide et entier, et le missent à point et les portes de la ville aussi ; et si les François les venoient encore assaillir que ils se défendissent bien ; car il les secourroit à quelque meschef que ce fût. Les chevaliers lui accordèrent volontiers, et se partirent de la cité de Bordeaux, si comme chargé leur fut. Or vous nommerai les dits chevaliers : messire Étienne de Tornby, messire Richard de Hebedon, messire Raoul de Hastingues et messire Normand de Finefroide. Après ce, le comte Derby pria au comte de Pennebruich, à messire Gautier de Mauny, à messire Franke de Halle, à messire Thomas Kok, à messire Jean de Lille, à messire Robert de Neuf-Ville, à messire Thomas Biset, à messire Jean de la Zouche, à messire Philippe de Beauvais, à messire Richard de Rocleve, et plusieurs autres chevaliers et écuyers qu’ils voulussent aller à Aiguillon et garder la forteresse ; car trop seroit courroucés, il le reperdoit.

Ceux se partirent, qui étoient bien quarante chevaliers et écuyers et trois cents armures de fer, parmi les archers ; et se vinrent bouter dedans le fort châtel d’Aiguillon. Si trouvèrent encore bien six vingt compagnons que le comte Derby y avoit laissés ; et pourvurent le dit châtel de vins, de farines, de chairs et de toutes autres pourvéances bien et largement. Aussi les quatre chevaliers dessus nommés, ordonnés pour aller à Ville-Franche, chevauchèrent parmi le pays, en allant celle part, et cueillirent grand’foison de bœufs, de vaches, de brebis et de moutons, de blés, d’avoines, de farines et de toutes autres

    relatifs aux opérations des troupes françaises ; mais elles prouvent du moins que Philippe ne demeura point spectateur tranquille des conquêtes du comte de Derby, comme le silence des historiens donne lien de le croire, et qu’il s’y opposa autant qu’il lui fut possible.