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LIVRE I. — PARTIE I.

Or nous souffrirons à parler du duc de Normandie, et du siége d’Aiguillon, et parlerons du roi Édouard d’Angleterre et d’une grosse chevauchée qu’il fit en cette saison pardeçà la mer.


CHAPITRE CCLXIV.


Comment le roi d’Angleterre fit son mandement pour aller en Gascogne ; mais par le conseil de messire Godefroy de Harecourt il s’en alla en Normandie.


Si avoit ouï recorder le dessus dit roi d’Angleterre que ses gens étoient durement astreins et fort assiégés dedans le châtel d’Aiguillon, et que le comte Derby son cousin, qui se tenoit à Bordeaux, n’étoit mie fort pour tenir les champs et lever le siége du duc de Normandie de devant Aiguillon. Si se pensa qu’il mettroit sus une grosse armée de gens d’armes et les amèneroit en Gascogne, Si commanda à faire ses pourvéances tout bellement, et à mander gens parmi son royaume et ailleurs aussi où il les pensoit avoir, parmi ses deniers payans.

En ce temps arriva en Angleterre messire Godefroy de Harecourt, qui étoit banni et enchassé de France, ainsi que vous avez ouï[1]. Si se traist tantôt devers le roi et la roine, qui se tenoient adonc à Cartesée[2], à quatorze lieues de la cité de Londres, sur la rivière de Tamise, qui reçurent le dit messire Godefroy moult liement ; et le retint tantôt le roi de son hôtel et de son conseil, et lui assigna belle terre et grande en Angleterre, pour lui et son état tenir et maintenir bien et étoffément. Assez tôt après eut le dit roi ordonné et appareillé une partie de ses besognes ; et avoit fait venir et assembler au hâvre de Hantonne grand’quantité de nefs et de vaisseaux ; et faisoit celle part traire toutes manières de gens d’armes et d’archers.

Environ la Saint-Jean-Baptiste, l’an mil trois cent quarante six, se partit le roi de madame la roine sa femme, et prit congé de li, et la recommanda en la garde du comte de Kent son cousin ; et établit le seigneur de Percy et le seigneur de Neufville à être gardiens de tout son royaume, avec quatre prélats, c’est à savoir, l’archevêque de Cantorbie, l’archevêque d’Yorch, l’évêque de Lincole et l’évêque de Durem[3]. Et ne vida mie tellement son royaume qu’il n’y demeurât assez de bonnes gens pour le garder et défendre, si mestier étoit. Puis chevaucha le roi et vint sur les marches de Hantonne ; et là se tint tant qu’il eut vent pour lui et pour toutes ses gens. Si entra en son vaisseau[4], et le prince de Galles son fils, et messire Godefroy de Harecourt, et chacun autre sire, comte et baron entre ses gens, ainsi que ordonné étoit. Si pouvoient être en nombre quatre mille hommes d’armes et dix mille archers, sans les Yrlois et aucuns Gallois, qui suivoient son ost tout à pied[5].

Or vous nommerai aucuns grands seigneurs qui furent avec le dit roi : et premièrement Édouard son ains-né fils, prince de Galles, qui lors étoit en l’âge de quatorze ans ou environ[6], le comte de Herfort, le comte de Norenton, le comte d’Arondel, le comte de Cornouaille, le comte de Warvich, le comte de Hostidonne, le comte de Suffolch, le comte d’Askesuffort ; et des barons : messire Jean de Mortemer qui puis fut comte de la Marche, messire Jean, messire Louis et messire Roger de Beauchamp, messire Regnault de Cobehen, le sire de Moutbray, le sire de Ros, le sire de Lussy, le sire de Felleton, le sire de Brasseton, le sire de Multon, le sire de la Ware, le sire de Manne, le sire de Basset, le sire de Bercler, le sire de Willebi et plusieurs autres ; et des bacheliers, messire Jean Chandos, messire Guillaume Fitz-Varrine, messire Pierre et messire Jacques d’Audelée, messire Roger de Wettevale, messire Berthelémy de Brues, messire Richard de Pennebruges, et

  1. Godefroy de Harcourt était en Angleterre depuis long-temps : il avait fait hommage à Édouard en qualité de roi de France avant le 13 juin de l’année 1345.
  2. Chertsey, près de la Tamise, et à vingt milles de Londres.
  3. Les prélats et les seigneurs qui viennent d’étre nommés formaient vraisemblablement le conseil du prince Lionnel, que son père avait établi gardien de tout le royaume pendant son absence, par ses lettres datées du 25 juin.
  4. Édouard s’embarqua le 2 juillet.
  5. On porte le nombre des Irlandais à 6,000 et celui des Gallois ou Welshmen à 12,000 qui, réunis aux 4,000 hommes d’armes et aux 10,000 archers, ne feraient en tout qu’une force de 32,000 hommes ; mais il est probable que Froissart porte ces forces au-dessous de ce qu’elles étaient, puisque Knyghton rapporte qu’il fallut 1,100 grands bâtimens pour transporter l’armée d’Édouard, sans compter les 600 petits bâtimens, destinés à porter sans doute les approvisionnemens.
  6. Il était né le 15 juin 1330 ; il avait donc alors seize ans révolus.