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LIVRE I. — PARTIE I.

roine que le roi d’Escosse étoit devenu. On lui répondit que un écuyer d’Angleterre, qui s’appeloit Jean de Copelant, l’avoit pris et mené avec lui, mais on ne lui savoit dire où, ni quel part. Donc eut la roine conseil qu’elle écriroit devers le dit écuyer et lui manderoit tout acertes qu’il lui amenât son prisonnier le roi d’Escosse, et que pas bien à point n’avoit fait, ni au gré de li, quand ainsi l’en avoit mené hors des autres et sans congé. Ces lettres furent écrites et envoyées par un chevalier de madame la roine. Entrementes que le dit chevalier fit son message, s’ordonnèrent les Anglois et se tinrent tout le jour sur la place que gagnée avoient vaillamment, et la roine avec eux, qui honoroit et fêtoit grandement les bons et vaillans chevaliers qui à cette besogne avoient été. Là lui furent présentés le comte de Moret, le comte de La Marche et tous les autres ; et retournèrent lendemain, à grand’joie, la roine et tous les seigneurs, en la ville de Neuf-Châtel. Or vous parlerons de Jean de Copelant comment il répondit aux lettres et au message que madame la roine d’Angleterre lui envoya. C’étoit son intention que le dit roi d’Escosse son prisonnier il ne rendroit à homme ni à femme, fors à son seigneur le roi d’Angleterre, et que on fut tout assur de lui, car il le pensoit si bien garder qu’il en rendroit bon compte. Madame d’Angleterre à cette fois n’en put avoir autre chose, et ne se tint pas pour bien contente de l’écuyer ; et fit tantôt lettres écrire et sceller, et les envoya à son cher seigneur le roi d’Angleterre, qui séoit devant Calais. Par ces lettres fut le roi tout informé de tout l’état d’Angleterre et de la prise du roi David d’Escosse. Si eut grand’joie en soi-même de la belle fortune que Dieu avoit envoyée à ses gens. Si ordonna tantôt le roi d’aller quérir ce Jean de Copelant, et le manda bien acertes qu’il vint parler à lui devant Calais. Quand Jean de Copelant se vit mandé de son seigneur le roi d’Angleterre, si en fut tout réjoui, et obéit ; et mit son prisonnier en bonnes gardes et sûres en un fort châtel sur la marche de Northonbrelande et de Galles ; et puis se mit à chemin parmi Angleterre, et fit tant qu’il vint à Douvres, et passa la mer ; et vint devant Calais et au logis du roi.


CHAPITRE CCCVIII.


Comment le dit écuyer vint au mandement du roi d’Angleterre devant Calais, lequel le reçut à grand’joie ; et comment il rendit le dit roi d’Escosse à la roine d’Angleterre.


Quand le gentil roi d’Angleterre vit l’écuyer et il sçut que c’étoit Jean de Copelant, si lui fit grand’chère et le prit par la main et lui dit : « À bien vienne mon écuyer, qui par sa vaillance a pris notre adversaire le roi d’Escosse. » — « Monseigneur, dit Jean, qui se mit à un genou devant le roi, si Dieu m’a voulu consentir si grand’grâce, que il m’a envoyé entre mes mains le roi d’Escosse, et je l’ai conquis par bataille, on n’en doit pas avoir envie ni rancune sur moi, car aussi bien peut Dieu envoyer sa grâce et sa fortune, quand il échet, à un povre écuyer que il fait à un grand seigneur ; et, Sire, ne me veuillez nul mal gré si je ne le rendis tantôt à madame la roine, car je tiens de vous, et mon serment ai de vous et non de li, fors tout à point. » Donc répondit le roi : « Jean, nennin ; le bon service que nous avez fait et la vaillance de vous vaut bien que vous soyez excusé de toutes choses ; et honnis soient tous ceux qui sur vous ont envie. Jean, dit le roi encore, je vous dirai que vous ferez : vous parti de ci, retournerez en votre maison et prendrez votre prisonnier et le mènerez devers ma femme ; et en nom de rémunération, je vous donne et assigne, au plus près de votre hôtel que aviser et regarder on pourra, cinq cents livres à l’esterlin par an de revenue, et vous retiens écuyer de mon corps et de mon hôtel[1]. »

De ce don fut Jean moult réjoui, ce fut raison, et en remercia grandement le roi. Depuis demeura-t-il deux jours de-lez le roi et les barons qui moult l’honorèrent, ainsi que bien faire le savoient, et que on doit faire à un vaillant homme ; et le tiers jour s’en partit et retourna arrière en Angleterre ; et exploita tant par ses journées qu’il vint chez soi. Si assembla ses amis et ses voisins, et recorda tout ce qu’il avoit trouvé au roi son seigneur, et le don que il lui avoit fait, et comment le roi vouloit que le roi d’Escosse fût mené pardevers madame la roine qui se tenoit encore en la cité de Bervich. Ceux qui là étoient fu-

  1. Outre cette grâce, le roi l’éleva au grade de Banneret, et lui assigna cent autres livres de revenu pour l’entretien de vingt hommes d’armes.