Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
[1347]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

les Flamands, lesquels le roi de France vouloit mettre en traité, si comme ci-dessus est dit, que ils issirent hors de Flandre bien cent mil, et s’en vinrent mettre le siége devant la bonne ville d’Aire, et ardirent tout le pays de là environ : Saint-Venant, Mureville, la Gorgne, Estelles, Le Ventis, et une marche que l’on dit la Loeve, et jusques aux portes de Saint-Omer et de Thérouenne[1]. Et s’en vint adonc le roi de France loger en la cité d’Arras, et envoya grand’foison de gens d’armes devant les garnisons d’Artois et par espécial, son connétable messire Charles d’Espaigne[2] à Saint-Omer ; car le comte d’Eu et de Ghines, qui connétable de France avoit été, étoit prisonnier en Angleterre, ainsi que vous savez. Ainsi se porta toute celle saison bien avant ; et ensonnièrent les Flamands grandement les François, ainçois qu’ils se partissent.


CHAPITRE CCCXVI.


Comment le roi de France vint atout son grand ost devant Calais pour cuider lever le siége et combattre le roi d’Angleterre.


Quand les Flamands furent retraits et ils eurent couru les basses marches en la Loeve, adonc s’avisa le roi de France qu’il s’en iroit atout son ost devant Calais pour lever le siège, s’il pouvoit aucunement, car il sentoit messire Jean de Vienne et ses compagnons et les bonnes gens de Calais durement étreints ; et avoit bien ouï dire et recorder comment on leur avoit clos le pas de la mer, pour laquelle cause la ville étoit en péril de perdre. Si s’émut ledit roi et se partit de la cité d’Arras et prit le chemin de Hesdin, et tant fit qu’il y vint ; et tenoit bien son ost parmi le charroy, trois grands lieues de pays. Quand le roi se fut reposé un jour à Hesdin, il vint l’autre à Blangis, et là s’arrêta pour savoir quel chemin il feroit ; si eut le conseil d’aller tout le chemin que on dit l’Alequine. Adonc se mit à voie, et toutes ses gens après, et bien avoit deux cent mille hommes, uns et autres ; et passèrent le roi et ses gens parmi la comté de Faukenbergue, et s’en vinrent droit sur le mont de Sangattes, entre Calais et Wissant[3] ; et chevauchoient ces François tous armés au clair, ainsi que pour tantôt combattre, bannières déployées ; et étoit grand’beauté à voir et considérer leur puissant arroy, ni on ne se put saouler d’eux regarder. Quand ceux de Calais qui s’appuyoient et étoient sur les murs, les virent premièrement poindre et apparoir sur le mont de Sangattes, et leurs bannières et pennons ventiler, ils eurent grand’joie, et cuidèrent certainement être tantôt désassiégés et délivrés : mais quand ils virent que on se logeoit, ils furent plus courroucés que devant, et leur sembla un petit signe.


CHAPITRE CCCXVII.


Comment le roi d’Angleterre fit traire ses naves sur le pas des dunes et bien garnir et défendre contre les François.


Or vous dirai que le roi d’Angleterre fit et avoit jà fait. Quand il sçut que le roi de France venoit à si grand ost pour le combattre et pour désassiéger la ville de Calais, qui tant lui avoit coûté d’avoir, de gens et de peine de son corps, et si savoit bien que il avoit la dite ville si astreinte et si menée que elle ne se pouvoit longuement tenir, si lui venoit à grand’contraire s’il l’en convenoit partir ainsi ; si avisa et imagina ledit roi que les François ne pouvoient venir ni approcher son ost ni la ville de Calais, que par l’un des deux pas, ou par les dunes sur

  1. Robert d’Avesbury parle d’un petit échec que les Français reçurent devant Cassel, dont nous croyons devoir faire ici mention. Le 8 juin, dit-il, Jean, fils aîné de Philippe de Valois, ayant marché vers Cassel, à la tête d’un très gros corps de troupes, donna l’assaut à la ville depuis le matin jusqu’à midi. Les Anglais et les Flamands le reçurent si vigoureusement qu’il fut obligé de se retirer avec une perte considérable, sans avoir fait presque aucun mal à l’ennemi. L’auteur anonyme de la Chronique de Flandre n’entre dans aucun détail à ce sujet ; il dit seulement que les Français tentèrent en vain de s’emparer de Cassel ; mais il raconte auparavant deux actions, l’une au Quesnoy sur la Lys, l’autre au pays de la Loeve, dans lesquelles les Français eurent un avantage signalé sur les Flamands, et dont il n’est fait aucune mention dans Froissart ni dans Robert d’Avesbury.
  2. Charles d’Espagne exerçait alors cette charge par commission ; il n’en fut pourvu qu’au mois de janvier 1351, après la mort du comte d’Eu.
  3. L’armée française arriva sur ces hauteurs le derrein vendredy avant le goul d’aust, suivant une lettre du roi d’Angleterre à l’archevêque de Cantorbéry, que nous rapporterons ci-après, telle qu’elle se trouve dans Robert d’Avesbury. Or le dernier vendredi avant le goul d’août, c’est-à-dire, avant le premier août était le 27 juillet, puisqu’on cette année 1347, le premier août était un mercredi. Ainsi l’historien de Calais s’est trompé lorsqu’il a avancé que les Français arrivèrent à Sangate le 13 juillet.