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LIVRE I. — PARTIE I.

le rivage de la mer, ou par dessus où il avoit grand’foison de fossés et de crolis et de marais ; et n’y avoit sur ce chemin que un seul pont par où on pût passer, et l’appeloit-on le pont de Nieulay. Si fit le dit roi traire toutes ses naves et ses vaisseaux par devers les dunes, et bien garnir et fournir de bombardes, d’arbalètres, d’archers et d’espringales, et de telles choses par quoi l’ost des François ne pût ni osât par là passer ; et fit le comte Derby son cousin aller loger sur le dit pont de Nieulay, à grand’foison de gens d’armes et d’archers, afin que les François n’y pussent passer, si ils ne passoient parmi les marais, qui sont impossibles à passer. Entre le mont de Sangattes et la mer de l’autre côté devers Calais, avoit une haute tour que trente-deux archers anglois gardoient ; et tenoient là endroit le passage des dunes pour les François ; et l’avoient à leur avis durement fortifiée de grands doubles fossés.

Quand les François furent logés sur le mont de Sangattes, ainsi comme vous avez ouï, les gens des communautés perçurent celle tour ; si s’avancèrent ceux de Tournay, qui bien étoient quinze cents, et allèrent de grand’volonté celle part. Quand ceux qui dedans étoient les virent approcher, ils trairent à eux et en navrèrent aucuns. Quand les compagnons de Tournay virent ce, ils furent tous courroucés, et se mirent de grand’volonté à assaillir celle tour et ces Anglois, et passèrent par force outre les fossés, et vinrent jusques à la motte de terre et au pied de la tour, à pics et à hoyaux. Là eut dur assaut et grand, et moult de ceux de Tournay blessés ; mais pour ce ne se refreignirent-ils mie de assaillir ; et firent tant que, par force et par grand’appertise de corps, ils conquirent celle tour ; et furent morts tous ceux qui dedans étoient, et la tour abattue et renversée. De quoi les François tinrent ce fait à grand’prouesse.


CHAPITRE CCCXVIII.


Comment le roi de France, voyant qu’il ne pouvoit trouver passage pour venir à Calais, manda au roi d’Angleterre qu’il lui donnât place pour le combattre, et quelle chose il lui répondit.


Quand l’ost des François se fut logé sur le mont de Sangattes, le roi de France envoya les maréchaux, le seigneur de Beaujeu et le seigneur de Saint-Venant, pour regarder et aviser comment et par où son ost plus aisément pourroit passer, pour approcher les Anglois et eux combattre. Ces deux seigneurs, maréchaux de France pour le temps, allèrent partout regarder et considérer les passages et les détroits, et puis s’en retournèrent au roi et lui dirent à brève parole, que ils ne pouvoient aviser que il pût aucunement approcher les Anglois, qu’il ne perdît ses gens davantage. Si demeura la chose celui jour et la nuit en suivant.

Lendemain après messe, le roi Philippe envoya grands messages, par le conseil de ses hommes, au roi d’Angleterre ; et passèrent les messages, par le congé du comte Derby, au pont de Nieulay ; et furent messire Geoffroy de Chargny, messire Eustache de Ribeumont, messire Guy de Nelle, et le sire de Beaujeu. En passant et en chevauchant celle forte voie, ces quatre seigneurs avisèrent bien et considérèrent le fort passage, et comment le pont étoit bien gardé. On les laissa passer paisiblement tout outre, car le roi d’Angleterre l’avoit ainsi ordonné, et durement en passant prisèrent l’arroy et l’ordonnance du comte Derby et de ses gens, qui gardoient ce pont parmi lequel ils passèrent ; et tant chevauchèrent qu’ils vinrent jusques au roi d’Angleterre, qui bien étoit pourvu de grand’baronie de-lez lui, Tautôt tous quatre mirent pied à terre, et passèrent en avant et vinrent jusques au roi et s’inclinèrent ; le roi les recueillit, ainsi qu’il appartenoit à faire. Là s’avança messire Eustache de Ribeumont à parler pour tous et dit : « Sire, le roi de France nous envoie par devers vous et vous signifie qu’il est ci venu et arrêté sur le mont de Sangattes pour vous combattre ; mais il ne peut ni voir ni trouver voie comment il puisse venir jusques à vous ; si en a-t-il grand désir pour désassiéger sa bonne ville de Calais. Si a fait aviser et regarder par ses maréchaux comment il pourroit venir jusques à vous ; mais c’est chose impossible. Si verroit volontiers que vous voulussiez mettre de votre conseil ensemble, et il mettroit du sien, et par l’avis de ceux, aviser place là où on se pût combattre ; et de ce sommes-nous tous chargés de vous dire et requerre. »

Le roi d’Angleterre, qui bien entendit cette parole, fut tantôt conseillé et avisé de répondre, et répondit et dit : « Seigneurs, j’ai bien en-