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LIVRE I. — PARTIE II.

povreté et les aucuns à outrage et grand’outrecuidance.


CHAPITRE VIII.


Comment un engagement eut lieu près de Saint-Omer entre les deux capitaines françois et anglois ; comment le capitaine anglois, messire Jean Beauchamp, fut pris avec sa troupe, et comment le capitaine des François, messire Édouard de Beaujeu, fut tué dans le combat.


Nous parlerons d’un autre fait d’armes qui avint en celle saison en la marche de Saint-Omer assez près de la bastide d’Arde. Vous avez bien ci-dessus ouï parler comment, après le reconquêt de Saint-Jean-l’Angelier, le roi de France envoya à Saint-Omer ce gentil chevalier, le seigneur de Beaujeu, pour être regard et souverain de toutes gens d’armes et gouverneur du pays. D’autre part étoit à Calais un moult vaillant chevalier de par le roi d’Angleterre qui s’appeloit messire Jean de Beauchamp. Ces deux capitaines avoient foison de bons chevaliers et écuyers dessous eux, et mettoient grand’peine que ils pussent trouver et rencontrer l’un l’autre. Or avint que, droitement le lundi de la Pentecôte l’an mccclii, messire Jean de Beauchamp se départit de Calais à trois cents armures de fer et deux cents archers ; et avoient tant chevauché de nuit, que, droitement ce lundi au matin, ils furent devant Saint-Omer, environ soleil levant, et se mirent en ordonnance de bataille sur un tertre assez près de là, et puis envoyèrent leurs coureurs découvrir et prendre et lever la proie qui étoit issue de Saint-Omer et des villages là environ ; et la recueillirent tout ensemble. Si y avoit-il grand’proie.

Quand ils eurent couru et fait leur emprise, ils se commencèrent à retraire moult sagement, et prirent leurs gens de pied qui les suivoient, et vingt hommes d’armes et soixante archers, et leur dirent : « Retrayez-vous bellement vers Calais, et chassez cette proie devant vous ; nous la suivrons et la conduirons. » Tous cils qui ordonnés furent de cela faire, le firent, et les chevaliers et écuyers se remirent ensemble et puis chevauchèrent tout le pays.

Les nouvelles étoient là venues en Saint-Omer et au seigneur de Beaujeu qui gissoit en la porte de Boulogne, que les Anglois chevauchoient ; et avoient leurs coureurs été jusques aux barrières, et emmenoient la proie, de quoi le sire de Beaujeu étoit durement courroucé ; et avoit fait sonner sa trompette et aller à val la ville pour réveiller chevaliers et écuyers qui là dormoient à leurs hôtels. Si ne furent mie sitôt armés ni assemblés, mais le sire de Beaujeu ne les voulut mie tous attendre, ainçois se partit, espoir lui centième, monté bien et faiticement, et fit sa bannière porter et passer devant lui. Si issit de la ville, ainsi que je vous dis, et les autres compagnons, ainsi que ils avoient fait, le suivoient chaudement. À ce jour étoient à Saint-Omer le comte de Porcien, messire Guillaume de Bourbon, messire Baudoins Dennekins, messire Drues de Roie, messire Guillaume de Graon, messire Oudart de Renty, messire Guillaume de Bailleul, messire Hector Kiéret, messire Hugues de Longval, le sire de Sains, messire Baudouin de Bellebourne, le sire de Saint-Dizier, le sire de Saint-Sauf-Lieu, messire Robert de Basentin, messire Baudouin de Cuvilier et plusieurs bons chevaliers et écuyers d’Artois et de Vermandois. Si suivit premièrement le sire de Beaujeu les esclos des Anglois moult radement ; et avoit grand’doutance qu’ils ne lui échappassent, car envis les eut laissés sans combattre. Toutes ces gens d’armes et les brigans, desquels il avoit bien cent à Saint-Omer, n’étoient mie encore avec le seigneur de Beaujeu, et cil qui le suivoit plus près derrière c’étoit messire Guichard son frère, qui ne s’étoit mie parti avec lui ni de sa route. Ainsi chevauchoient-ils les uns et les autres, les Anglois devant, les François après ; et prenoient toudis les Anglois l’avantage d’aller devant en approchant Calais ; mais leurs chevaux se commnençoient moult à fouler, car ils étoient travaillés de la nuit devant que ils avoient fort chevauché. Si avint que les Anglois avoient jà élongé Saint-Omer quatre lieues du pays, et avoient passé la ravière d’Oske, et étoient entre Arde et Oske. Si regardèrent derrière eux, et virent le seigneur de Beaujeu et sa bannière, et n’étoient non plus de cent hommes d’armes : si dirent entre eux : « Nous nous faisons chasser de ces François qui ne sont qu’un petit ; arrêtons-nous et nous combattons à eux, aussi sont nos chevaux durement foulés. » Tous s’accordèrent à ce conseil ; et entrèrent en un pré, et prirent l’avantage d’un fossé qui là étoit environ ce pré, et se mirent tous à pied, les lances devant eux et en bonne ordon-