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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ville de Calais un petit de terme, si eut volonté de partir et de chevaucher en France. Si fit connétable de toute son ost le comte de Salebrin, et maréchaux le seigneur de Percy et le seigneur de Neuf-Ville. Si se départirent de Calais moult ordonnément en grand arroy, bannières déployées, et chevauchèrent vers Saint-Omer ; et passèrent devant Arde et puis devant Le Montoire, et se logèrent sur la rivière d’Oske ; et à lendemain les maréchaux de l’ost le roi coururent devant Saint-Omer, dont messire Louis de Namur étoit capitaine. Si vinrent jusques aux barrières, mais ils n’y firent autre chose.

Le roi de France, qui bien avoit entendu que le roi d’Angleterre toute celle saison avoit fait ses pourvéances grandes et grosses, et qu’il s’étoit tenu sur mer, supposoit bien que le roi dessus nommé, quoique les alliances de lui et du roi de Navarre fussent brisées, ne se tiendroit point, a tant que il employât ses gens où que ce fût ; et quand il sçut que il étoit à toute son ost arrivé à Calais, si envoya tantôt grands gens d’armes par toutes les forteresses de Picardie en la comté d’Artois, et fit un très grand et espécial mandement par tout son royaume : que tout chevalier et écuyer, entre l’âge de quinze ans et de soixante, fussent, à un certain jour que il y assist, en la cité d’Amiens ou là environ, car il vouloit aller contre les Anglois et eux combattre.

En ce temps étoit connétable de France le duc d’Athènes[1] et maréchaux messire Arnoul d’Andrehen et messire Jean de Clermont. Si envoya encore le dit roi de France devers ses bons amis en l’Empire, et par espécial monseigneur Jean de Hainaut en qui moult se confioit de sens, de prouesse et de bon conseil. Le gentil chevalier ne voult mie faillir à ce grand besoin le roi de France, mais vint vers lui moult étoffément, ainsi que bien le savoit faire, et le trouva en la cité d’Amiens. Là étoient de-lez le roi de France ses quatre enfans : premièrement Charles l’aîné duc de Normandie et dauphin de Vienne[2] ; messire Louis le second, après comte d’Anjou et du Maine[3] ; le tiers messire Jean comte de Poitiers[4] ; et le quart messire Philippe[5]. Et quoique ces quatre seigneurs et enfans fussent avec le roi leur père, ils étoient pour ce temps encore moult jeunes, mais le roi les y menoit pour apprendre les armes. Là étoit le roi Charles de Navarre, le duc d’Orléans, frère du roi Jean, le duc de Bourbon, messire Jacques de Bourbon comte de Ponthieu, son frère, le comte de Forez, messire Jean de Boulogne comte d’Auvergne, le comte de Tancarville, le comte d’Eu, messire Charles d’Artois son frère, le comte de Dammartin, le comte de Saint-Pol, et tant de comtes et de barons que grande tanison seroit à recorder.

Si eut le roi en la cité d’Amiens bien douze mille hommes d’armes, sans les communautés dont il avoit bien trente mille. Et quoique le dit roi de France fit son amas de gens d’armes et ses pourvéances si grandes et si grosses pour chevaucher contre les Anglois, pour ce ne séjournoit mie le roi d’Angleterre d’aller toudis avant au royaume de France, car nul ne l’y alioit au devant ; et chevauchoit vers Hesdin, dont ils avoient si grand’peur en la cité d’Arras, que merveilles seroit à penser ; car ils audoient que le roi d’Angleterre dût mettre le siége devant leur ville et leur cité.

Or vous lairons-nous un petit à parler du roi d’Angleterre et du roi de France, et vous parlerons d’une autre emprise et grande que messire Guillaume Douglas et les Escots firent en Angleterre, entrementes que le roi Édouard étoit en ce voyage de France.


CHAPITRE XVI.


Comment messire Guillaume de Douglas fit une chevauchée en Angleterre et reconquit la bonne ville de Bervich.


Messire Guillaume de Douglas, ce bon chevalier d’Escosse, guerroyoit toudis à son pouvoir les Anglois, quoique le roi David d’Escosse fût prisonnier, ainsi que vous savez. Et étoit-il de

  1. Gauthier VI du nom, comte de Brienne et d’Athènes, ne fut créé connétable de France que le 9 mai 1356 sur la démission de Jacques de Bourbon comte de La Marche et de Ponthieu et fils de Louis, duc de Bourbon, qui exerçait cette charge depuis la mort de Charles d’Espagne.
  2. C’est celui qui fut depuis roi de France sous le nom de Charles V.
  3. Il devint roi de Sicile en épousant Jeanne.
  4. Plus connu sous le titre de duc de Berry.
  5. Connu depuis sous le nom de Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne. Il fut le chef de la seconde maison de Bourgogne, dont les quatre souverains, Philippe-le-Hardi, Jean-sans-Peur, Philippe-le-Bon et Charles-le-Tèméraire tiennent une si grande place dans nos annales.