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LIVRE I. — PARTIE II.

passer on leur envoya des tours de la forteresse en canons et en espringalles, carreaux gros et longs qui en blessèrent aucuns en passant, car d’artillerie la cité étoit bien pourvue. Quand le prince et tout son ost furent outre, ils prirent le chemin de Cabestain, mais ils trouvèrent ainçois deux villes fermées Ourmes et Trèbes, séantes sur une même rivière qu’ils pouvoient passer et repasser à leur aise. Ces deux villes étoient bien fermées de bons murs et de bonnes portes et tout à plaine terre. Si furent les gens qui dedans étoient si effrayés des Anglois qui avoient pris Carcassonne et plusieurs villes en devant, que ils s’avisèrent qu’ils se racateroient à non ardoir et assaillir. Si que quand les coureurs furent venus à Ourmes, ils trouvèrent aucuns bourgeois de la ville qui demandèrent si le prince ou les maréchaux étoient en leur route. Cils répondirent que nennil : « Et pourquoi le demandez-vous ? » — « Pour ce que nous voulons entrer en traité d’accord, si ils y vouloient entendre. »

Ces paroles vinrent jusques au prince. Si envoya le dit prince le seigneur de Labreth, qui vint jusques à là et en fit la composition, parmi douze mille écus qu’ils durent payer au prince, dont ils livrèrent bons ôtages ; et puis chevauchèrent vers Trèbes, qui se rançonna aussi ; et tous le plat pays d’environ étoit ars et brisé sans nul déport. Et sachez que, ceux de Narbonne, de Béziers et de Montpellier n’étoient mie bien asségur quand ils sentoient les Anglois ainsi approcher. Et par espécial ceux de Montpellier, qui est ville puissante, riche et marchande, étoient à grand’angoisse de cœur, car ils n’étoient point fermés. Si envoyèrent les riches hommes la greigneur partie de leurs joyaux à sauveté en Avignon ou au fort châtel de Beaucaire.

Tant exploitèrent les Anglois que ils vinrent à Cabestain une bonne ville et forte, séant à deux lieues de Béziers et à deux de Narbonne. Et vous dis que cette ville de Cabestain est durement riche, séant sur la mer[1], et ont les salines dont ils font le sel par la vertu du soleil. Si doutèrent ces gens de Cabestain à tout perdre, corps et biens, car ils étoient faiblement fermés et murés. Si envoyèrent au devant du prince et de son ost pour traiter, que il les laissât en paix et ils se racateroient selon leur puissance. Le sire de Labreth, qui connoissoit auques le pays, faisoit ces traités quand le prince y vouloit entendre. Si rançonnèrent ceux de Cabestain à payer quarante mille écus, mais que ils eussent cinq jours de pourvéances, et de ce livrèrent-ils ôtages. Depuis me fut dit qu’ils laissèrent prendre leurs ôtages et ne payèrent point d’argent, et se fortifièrent tellement de fossés et de palis que pour attendre le prince et toute son ost. Je ne sais de vérité comment il en alla, si ils payèrent ou non, mais toute fois ils ne furent point ars ni assaillis ; et s’en vinrent les Anglois à Narbonne et se logèrent au bourg.

À Narbonne[2] a cité et bourg. Le bourg, pour ce

  1. Capestan n’est pas sur la mer, mais près d’un lac.
  2. Robert d’Avesbury a publié trois pièces en français, qui montrent avec quelle exactitude Froissart était informé des détails des événemens de son temps, pour lesquels nous n’avons souvent que son témoignage. Voici ces pièces qui sont d’un grand intérêt historique, nos historiens et les historiens anglais n’ayant parlé que fort succinctement de cette campagne.
    Lettre du prince de Gales à l’évêque de Winchester.

    « Reverent piere en Dieux et tres-foiable amy, endroit des novelx ceaundroites, voiliez savoir qe puis la feisance de nos darreins lettres queux nous vous envoiasmes, accordé est par avys et conseil de touz les seignours esteauntz entour nous et de seignours et de barouns de Gascoigne, par cause que le counte d’Ermynake estoit cheveteyn des guerres notre adversarie et son lieutenant en tut la païs de Lange-de-oke, et pluis avoit grevé et destruit les lieges gentz notre très honouré seigneur et piere le roy et sa païs que nul aultre en ycelles parties, que nous deveroms trere vers son païs d’Ermynake. Si alasmes l’aundroit parmy le païs de Juylac la quele se rendi a nous od les forteresces que dedeins estoient. Si chivachasmes après parmy la païs d’Erminake, grevauntz et destruiauntz la païs, de quoy les lieges notre dit très honouré seigneur as queux il avoit devaunt grevé estoient mult reconfortez ; et d’illesqes passâmes parmy la terre de la viscounté de la ryvere. Si chivachasmes après la païs du counte d’Astrack, et d’illesques parmy la counte de Comenges, tanqe à une ville appelé Seint-Matan q’estoit la meillour ville du dit countée, la quelle ceaux qui dedeinz estoient voideront à la venue de noz gentz. Et puis passasmes par la terre le counte de Isle, tanqe nous venismes à une leage de Tholouse, où le dit counte d’Ermynake et aultres grauntz noz enemys estoient assemblés, où nous demurrasmes par II jours. Et d’illesqes prismes notre chemyn et passasmes en un jour les ryvers de Gerounde et de Ariage à une leage par amount Tholouse, qe sount assetz reddes et fortz à passer, saunz gaires parde de nos gentz, et loggasmes la nuyt à une leage de l’autre lée de Tholouse. Et prismes notre chemyn parmye Tholousane où estoient meyntes bones villes et for-