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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

répondirent les dessus nommés, vous nous offrez tant que par raison il nous doit et peut bien suffire : et Dieu le vous puisse mérir. »

Après ces alliances et ces confirmations d’amour, les dessus dits, qui tiroient de retourner en Normandie, ne séjournèrent point plenté, mais ainçois leur département ils allèrent voir madame la roine d’Angleterre, qui se tenoit à Windesore, laquelle leur fit grand’fête, et aussi firent toutes les autres dames et damoiselles.

Après ces honneurs et ces conjouissemens faits, les dessus dits se mirent au retour grandement bien contentés du roi et de son conseil, et leur furent baillés cent hommes d’armes et deux cents archers, desquels le sire de Ros et le sire de Neufville étoient capitaines. Si firent tant qu’ils arrivèrent sans périls et sans dommage au hâvre de Chierebourch, qui est ainsi que Calais une des fortes places du monde.

Depuis ne demeura guères de temps que le duc de Lancastre, qui se tenoit vers Pont-Orson, fut signifié du roi d’Angleterre son seigneur et son cousin que tout le confort et aide que il

    engynnes et artillers, arblastes, pavys et aultres herneys diverses, où il demurreit le jeofdy et le vendredy pour refaire les mynes q’ils avoient faitz très biens et très fortz à chastiel si près q’ils ne faillerent forsqe de IIII piés de les mures del chastiel. Et fist vitailler le chastiel pour un an et mist leyns un chasteleyn, mounseigneur Johan de Luke chivaler de Braban od L hommes d’armes et L archiers de ses gentz demene. Et le samady il se remua d’illesqes V leages de la terre à l’abbeie de Bek-harlewin. Et la dismenge il se remua d’illesques tanqe al ville de Counse par VIII leages de la terre, où il fist assaut al chastiel et gaigna la primere garde du chastiel par force et le fist mettre en feu. Et la lundy il s’en ala à Britoil q’est au roy de Navarre, là où estoit un très fort chastiel assiegé par lez ennemys le dit roy : mais devaunt la venue mounseir le ducz ils se departerount d’illesqes : le quelle chastiel mounseir fist bien vitailler et s’en ala mesme la jour II leages d’une costé à une graunt ville muré appellé Vernoyl q’est à la countesse d’Allansoun, quelle ville mounseir gaigna par assaut, où là estoient pris plusours prisonners et plusours biens. Et tauntost mesme la lundy il fist assailler une tour en la dite ville de Vernoyl q’estoit très fort, et endurra l’assaut tout cele jour et le mardy et le mesciredy tanqe à l’heure de prime, quele heure la tour luy fust renduz od toutz lo biens dedeinz la tour, en cele condicion q’ils deveroient aver lour vie et nient estre prisoners ; en quelle assaut fusrent plusours Engleis navfrez de quarels et de piers ; qele tour mounseir fist destruire ; et avoit illeosque multz des biens. Et la ville de Vernoyl n’est que XVIII leages de Paris, et est appellé le chief de Normandy. Et le jeofdy mounseir demurra illeosqes pour refrescher ses gentz. Et le vendredy en retournaunt devers la isle de Constantin mounseir le ducz se remua à une ville q’est appellé la Egle, où mounseir Charles d’Espayne estoit mys à la mort de7… le roy Johan de France et soun eigné filtz Dolphin de Vyenne et son frère ducz d’Orlyens et plusours grauntz de la terre ove VIII mil gentz d’armes, arblastiers et aultres comunes XL mil estoient de costé de la dite ville à une leage petite d’illesqes ; et de par le dit roy viendrent à mounseir le ducz II heraudes qe luy disoient qe le dit roy savoit bien qe par cause qe mounseir avoit si longement chivaché en soun royalme et demurré si près de lui à Vernoyl q’il fust venu pour avoir la bataille la quelle il averoit volentiers s’il vodroit.

    Sour qey mounseir lour respondy q’il est venuz en ycelles parties pour certains busoignes faire les queles il avoit bien coinpîy, Dieu mercy ! et fust eu retournaunt là où il avoit affeare ; et si le dit roy Johan de Fraunce luy voleit destourber de soun chemyn il serroit prest de luy encountrer. Après celle heure il n’avoit pluis novels del dit roy. Et le samady il se remua de l’Egle à la ville d’Argentyne8. Et la dismenge il se remua à la ville de Turreye9. Et la lundy il se remua à l’abbeye de Seint-Fromond10 où il passa une eawe mult perilouse, qar les Fraunceys avoient roumpuz le pount. Et en cele païs LX hommes d’armes et aultres servaunt estoient en un embuschement pour feare le mal q’ilz pourroient à noz gentz, ove queux XV de noz gentz d’armes d’Engleterre avoient affeare et lez tuerent trestoutz, quele chose fust tenue pour miracle. Et le marsdy mounseir se remua à Carantan. Et le mescredy il vient à Mountburgh avaunt dit en la isle de Constantyn, lequelle jour, quaunt mounseir primerement entra la dite isle, Robert Knolles od VII vingt hommes d’armes chivacha devaunt mounseir pour luy et ses gentz herberger, et encountra sodeignement VI vingt hommes d’armes d’arblastiers, brigauntz et Fraunceys q’issirent d’un chastiel q’est en celles parties, pour avoir robbé et arz une ville q’est à notre obeisaunce. Et le dit Robert et le VII vingt ditz hommes d’armes les tuerent trestoutz, hors pris III qe fusrent pris, à raunsoun. Et chescun de lez ditz villes où mounseir estoit herbergé fust beale ville, graunde et riche. Et chescune jour lez gentz pristerent diverses forteresses et mult graunt plenté des prisoners et du pilages, et à lour retourner amesnerent ovesqe II mil chivals des enemys ; si qe en ceste chivaché mounseir ad eu graunt grace et graunt honour ; qar unqes n’estoit vewe si poy des gentz feare tiele chivaché en tiele païs et saunz perdre de ses gentz, ent loiez soit Dieux. Escript à Mountburgh le XVIe jour du juyl, l’an du grâce mil cccLvi.

    1 La fête de saint Jean fut cette année le vendredi ; ainsi le mercredi dont il s’agit était le 22 juin.

    2 Montebourg, abbaye de bénédictins avec un gros bourg du même nom, à une lieue et demie de Valognes.

    3 Ce nom est altéré et il est difficile de le reconnaître ; peut-être est-ce Turry, sur l’Orne.

    4 Ce lieu, supposé qu’il ait jamais existé sous ces noms, nous est absolument inconnu.

    5 Quoique ce nom ressemble beaucoup à celui d’Argenton, la distance de cette ville à celle de Caen nous porte à croire qu’il s’agit plutôt ici d’Argences, bourg situé sur la Meance, à trois lieues de Caen.

    6 Corbon, sur la rivière de Vie, un peu au-dessus du confluent de cette rivière avec la Dive. Le marais dont parle l’auteur de la relation, se trouvait probablement entre ces deux rivières.

    7 Il y a certainement ici quelques mots omis ; car de ne peut tomber sur le roi Johan de France, puisque ce fut au contraire le roi de Navarre qui fit assassiner Charles d’Espagne.

    8 Il s’agit vraisemblablement ici d’Argentan qui se trouve sur cette route. Argences, dont il a été question ci-dessus serait trop éloigné. Il est possible qu’un étranger ait appelé de même deux lieux différens, dont tes noms ont tant de ressemblance.

    9 Probablement Turry, sur la rivière d’Orne.

    10 Saint-Fromand n’était qu’un prieuré dépendant de l’abbaye de Cerisy, situé sur le bord de la Vire.