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LIVRE I. — PARTIE II.

pouvoit faire aux enfans de Navarre et à ceux de Harecourt et leurs alliés, il le fit, en contrevengeant les dépits que son adversaire de Valois leur avoit faits. Le duc de Lancastre se tint tantôt pour tout informé de cette besogne et voult obéir au commandement son seigneur le roi, ce fut raison ; et recueilla toutes ses gens, où il avoit bien cinq cents lances et mille archers : si se mit au chemin par devers Normandie et devers Chierebourch.

En sa route étoit messire Robert Canolle, qui se commençoit jà grandement à faire et à avancer, et étoit moult renommé ès guerres de Bretagne pour le plus able et subtil homme d’armes qui fût en toutes les routes, et le mieux aimé de tous povres compagnons, et qui plus de biens leur faisoit. Le duc de Lancastre, messire Philippe de Navarre, messire Godefroy de Harecourt et leurs gens se mirent tout ensemble, et le sire de Ros et le sire de Neufville qui avoient passé la mer avec eux ; et firent tant qu’ils se trouvèrent douze cents lances, seize mille archers et deux mille brigands à lances et à pavais, et firent leur assemblée en la cité d’Évreux.

Là étoient messire Louis de Navarre, le jeune comte de Harecourt, messire Robert Canolle, messire le Bascle de Marueil, messire Pierre de Sakenville, messire Guillaume de Gauville, messire Jean Carbeniaus, messire Sanses Lopin, messire Jean Jeviel, messire Guillaume de Bonnemare, messire Foudrigais, Jean de Segur, Fallemont, François Hanekin, et plusieurs bons chevaliers et écuyers apperts hommes d’armes qui ne desiroient fors que la guerre. Si se départirent ces gens d’armes d’Évreux en grand’ordonnance et bon arroi, bannières et pennons déployés, et chevauchèrent devers Vernon. Si passèrent à Acquegni et puis à Passy[1] ; et commencèrent à piller, à rober et à ardoir tout le pays devant eux et à faire le plus grand exil et la plus forte guerre du monde.

Le roi de France, qui n’en attendoit guère autre chose, et qui avoit jeté son avis et imagination à entrer efforcément en la comté d’Évreux pour saisir villes et châteaux, avoit fait son mandement pour tout son royaume, aussi grand et aussi fort que pour aller contre le roi d’Angleterre et sa puissance. Si entendit le dit roi que le duc de Lancastre, Anglois et Navarrois, chevauchoient vers Rouen et mettoient le pays en grand’tribulation, et que les Anglois du temps passé n’y avoient point fait tant de dépits que ceux qui à présent y étoient y faisoient, par l’ennort et confort des Navarrois. Adonc le roi de France, ému de contrevenger ces dépits, se partit de Paris et s’en vint à Saint-Denis, où là l’attendoit grand’foison de gens d’armes, et encore l’en venoient tous les jours.

Le duc de Lancastre et les Navarrois, qui chevauchoient en grand’route et qui ardoient tout le plat pays, s’en vinrent à Vernon, qui étoit bonne ville et grosse ; si fut toute arse et toute robée ; oncques rien n’y demeura que le château. Et puis chevauchèrent vers Vernueil et firent tant qu’ils y parvinrent. Si fut ladite ville toute arse et aussi furent les faubourgs de Rouen.

Adonc s’émut le roi de France et s’en vint à Pontoise où ses deux maréchaux étoient, messire Jean de Clermont et messire Arnoul d’Andrehen ; et toutes ces gens d’armes s’en vinrent celle part et le suivoient à effort. Le roi s’en vint à Mantes pour apprendre du convenant des Anglois et des Navarrois. Si entendit qu’ils tenoient encore Rouen, et ardoient et détruisoient le plat pays. Adonc le roi ému et courroucé se départit de Mantes et chevaucha tant qu’il vint à Rouen, et si y séjourna trois jours. En ce terme furent toutes ses gens venues, où plus avoit de dix mille hommes d’armes, sans les autres de moindre état ; et étoient bien trente combattans, uns et autres. Si entra le roi au droit esclos des Anglois et des Navarrois, et dit que jamais ne retourneroit à Paris si les auroit combattus, si ils l’osoient attendre.

Le duc de Lancastre, messire Philippe de Navarre, messire Godefroy de Harecourt et messire Robert Canolle qui gouvernoient leurs gens, entendirent et sçurent de vérité que le roi de France et les François venoient sur eux, si efforcément que bien à quarante mille chevaux. Si eurent conseil que petit à petit ils se retrairoient, et point en forteresse qui fut en Normandie ni en Costentin ne s’enclorroient. Si se retrairent tout bellement, et prirent le chemin de l’Aigle pour aller devers Pont-Orson et vers Chierebourch.

Le roi de France, qui grand désir avoit d’eux trouver et combattre, les suivoit moult aigrement ; et avoit grand’compassion, ainsi qu’il chevau-

  1. Ce n’est point Passy près Paris, mais un autre Pacy situé dans le département de l’Eure et assez près d’Évreux.