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LIVRE I. — PARTIE II.

assaillir au dit châlel de Romorentin âprement et durement. Là eut grand assaut et dur ; et se tenoient les archers sur les fossés et traioient si ouniement que à peine osoit nul apparoir aux défenses. Et les autres nageoient sur huis et sur claies, pics et hoyaux, arcs et sajettes en leurs mains ; et venoient au fond du mur houer et piqueter. Là étoient les chevaliers à mont, le sire de Craon, messire Boucicaut, et l’ermite de Chaumont, qui trop bien s’acquittoient d’eux défendre ; et jetoient et faisoient jeter à val pierres et cailloux et pots pleins de chaux, dont ils mes-haignoient et blessoient durement ceux qui atteints en étoient. Et là fut occis, du côté des Anglois, un bon écuyer de Gascogne et bien gentil homme et qui eut grand’plainte, qui s’appeloit Raymon de Zedulach, et étoit de la route du Captal de Buch. Si dura cet assaut toute jour à journée, à bien petit de repos ; et se retrairent toutes manières de gens à leurs logis ; et entendirent les haitiés à remettre à point les navrés et les blessés, et passèrent la nuit ainsi.

Quand soleil fut levé lendemain, les maréchaux de l’ost firent sonner les trompettes pour armer toutes manières de gens et traire avant à l’assaut. Si s’ordonnèrent et mirent en conroy tous ceux qui pour assaillir étoient appelés et appareillés. Là, de rechef commença un assaut plus dur et plus fort sans comparaison que le jour devant ; car le prince de Galles y étoit personnellement, qui les amonestoit et enjoignoit de bien faire, et disoit à la fois : « Et comment ! Nous durera huy mais cette forteresse ? »

Les paroles du prince et la présence de lui évertuoient grandement toutes manières de gens d’armes et d’archers, qui s’aventuroient les aucuns moult follement pour être plus prisés. Là fut occis assez près du prince, du trait d’une pierre, un moult appert écuyer de Gascogne, frère germain au seigneur de Labret, et l’appeloit-on Bernardet de Labret. Si en furent tous ses parens, dont il avoit là grand’foison, durement courroucés, et par espécial le prince ; et jura adonc si haut que plusieurs l’ouïrent, que jamais ne se partiroit de là, si auroit gagné le dit châtel et ceux de dedans aussi, et mis à sa volonté.

Donc renforça l’assaut de toutes parts pour leur besogne avancer, et pourtant que le prince en avoit parlé si avant. Si regardèrent et imaginèrent les aucuns subtils hommes d’armes que ils se travailloient en vain et faisoient blesser leurs gens et occire sans raison, et que par tel assaut que de traire et de lancer on ne les auroit jamais. Si ordonnèrent à apporter canons avant et à traire carreaux et feu grégeois dedans la basse cour : si cil feu s’y vouloit prendre, il pourroit bien tant monteplier qu’il se bouteroit au toit des couvertures des tours du châtel, qui pour le temps étoient couvertes d’estrain : si par celle manière ils ne l’avoient, ils ne pouvoient mie voir voie comment ils pussent le dit château gagner et les chevaliers qui le châtel défendoient. Adonc fut le feu apporté avant, et trait par bombardes et par canons en la basse cour, et si prit et multiplia tellement que toutes ardirent ; et entra en la couverture d’une grosse tour, qui étoit d’estrain, où les trois chevaliers étoient, qui ce jour et celui de devant moult d’armes fait avoient. Quand ils virent le feu pardessus eux et que rendre leur convenoit, ou là périr, si ne furent pas bien à leur aise ; et vinrent tantôt à val, et se rendirent au prince à sa volonté : autrement il ne les eût point reçus, pourtant qu’il en avoit juré et parlé si avant. Ainsi eut et prit le prince de Galles les dessusdits chevaliers et les fit, comme ses prisonniers, aller et chevaucher avec lui, et plusieurs autres gentils hommes, chevaliers et écuyers, qui étoient au châtel de Romorentin, qui fut laissé tout vague, ars et essillé ; et prirent, pillèrent et emportèrent tout quant qu’ils trouvèrent au châtel et en la ville[1].


CHAPITRE XXVII.


Comment le roi de France se partit de Chartres à grand’compagnie de gens d’armes pour aller à l’encontre du prince de Galles.


Après la prise du châtel de Romorentin et des chevaliers dessus nommés, le prince et ses gens chevauchèrent comme devant, ardant et exillant le pays et en approchant durement Anjou et

  1. Robert d’Avesbury ne dit que deux mots sur la prise de Romorantin et les petits combats qui la précédèrent.

    Item. Memorandum quod per XVcim dies ante prædictum prælium (la bataille de Poitiers) in Salogne apud Romerantyn, captis villa et castro per obsidionem domini principis, capti fuerunt ibidem :

    Le sire de Cran Butoun,

    Mounsire Busyngaud et aultres chivalers et esquiers et gentz d’armes envirouri six vingt. Item. En venaunt près Romerantyn estoient pris de Fraunceys entaur VI vingt hommes d’armes.