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LIVRE I. — PARTIE II.

Quand ils furent tous en partie retournés de la chasse, et revenus devers le prince qui les attendoit sur les champs, si comme vous avez ouï recorder, si trouvèrent deux tant de prisonniers quils n’étoient de gens. Si eurent conseil l’un par l’autre, pour la grand’charge qu’ils en avoient, qu’ils en rançonneroient sur les champs le plus, ainsi qu’ils firent. Et trouvèrent, les chevaliers et les écuyers prisonniers, les Anglois et les Gascons moult courtois ; et en y eut ce propre jour mis à finance grand’foison, ou reçus simplement sur leur foi à retourner dedans le Noël ensuivant à Bordeaux sur Gironde, ou là rapporter les paiemens.

Quand ils furent ainsi que tous rassemblés, si se retrait chacun en son logis, tout joignant où la bataille avoit été. Si se désarmèrent les aucuns, et non pas tous ; et firent désarmer leurs prisonniers ; et les honorèrent tant qu’ils purent, chacun les siens ; car ceux qui prenoient prisonniers en la bataille étoient leurs, et les pouvoient quitter et rançonner à leur volonté.

Si pouvoit chacun penser et savoir que tous ceux qui là furent en cette fortunée bataille avec le prince de Galles, furent riches d’honneur et d’avoir, tant parmi les rançons des prisonniers, comme parmi le gain d’or et d’argent qui là fut trouvé, tant en vaisselle et en ceintures d’or et d’argent et riches joyaux, en malles farcies de ceintures riches et pesantes, et de bons manteaux. D’armures, de harnois et de bassinets ne faisoient-ils nul compte ; car les François étoient là venus très richement et si étoffement que mieux ne pouvoient, comme ceux qui cuidoient bien avoir la journée pour eux.

Or vous parlerons un petit comment messire James d’Audelée ouvra des cinq cents marcs d’argent que le prince de Galles lui donna, si comme il est contenu ci-dessus.


CHAPITRE XLVIII.


Comment messire Jacques d’Audelée donna ses cinq cents marcs d’argent de revenue que le prince lui avoit donnés à ses quatre écuyers.


Quand messire James d’Audelée fut arrière rapporté en sa litière en son logis, et il eut grandement remercié le prince du don que donné lui avoit, il n’eut guères reposé en sa loge, quand il manda messire Pierre d’Audelée son frère, messire Berthelemy de Brues, messire Étienne de Cousenton, le seigneur de Villeby et monseigneur Raoul de Ferrières : ceux étoient de son sang et de son lignage. Si très tôt que ils furent venus et en la présence de lui, il se avança de parler au mieux qu’il put ; car il étoit durement foible pour les navrures qu’il avoit : et fit venir avant les quatre écuyers qu’il avoit eus pour son corps, la journée, et dit ainsi aux chevaliers qui là étoient : « Seigneurs, il a plu à monseigneur le prince qu’il m’a donné cinq cents marcs de revenue par an et en héritage, pour lequel don je lui ai encore fait petit service, et puis faire de mon corps tant seulement. Il est vérité que vecy quatre écuyers qui m’ont toujours loyaument servi, et par espécial à la journée d’huy. Ce que j’ai d’honneur, c’est par leur emprise et leur hardiment ; pour quoi, en la présence de vous qui êtes de mon lignage, je leur veux maintenant rémunérer les grands et agréables services qu’ils m’ont faits. C’est mon intention que je leur donne et résigne en leurs mains le don et les cinq cents marcs que monseigneur le prince m’a donnés et accordés, en telle forme et manière que donnés les m’a, et m’en deshérite et les en hérite purement et franchement, sans nul rappel. »

Adonc regardèrent les chevaliers qui là étoient l’un l’autre, et dirent entr’eux : « Il vient à monseigneur Jame de grand’vaillance de faire tel don. » Si lui répondirent tous à une voix : « Sire, Dieu y ait part ! ainsi le témoignerons là où ils voudront. » Et se partirent atant de lui ; et s’en allèrent les aucuns devers le prince qui devoit donner à souper au roi de France et à son fils, et à la plus grand’partie des comtes et des barons qui prisonniers étoient ; et tout de leurs pourvéances, car les François en avoient fait amener après eux grand’foison, et elles étoient aux Anglois et aux Gascons faillies, et plusieurs

    comtes, un archevêque, soixante-six barons et bannerets et deux mille hommes d’armes prisonniers, et que, sans compter les comtes, vicomtes, bannerets, etc., trois mille hommes furent tués dans la poursuite. Les Français laissèrent en outre huit mille hommes d’armes sur le champ de bataille. Les Anglais n’en perdirent que dix-neuf cents et quinze cents archers.