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LIVRE I. — PARTIE II.

deux rivières Marne et Seine. Et ardirent ses gens autour de Paris tous les villages qui n’étoient fermés, pour mieux châtier ceux de Paris ; et si Paris n’eût été adonc fortifiée, ainsi qu’elle étoit, elle eût été sans faute détruite. Et n’osoit nul issir hors de Paris, pour la doutance du duc de Normandie et de ses gens qui couroient d’une part et d’autre Saine ; car ils véoient que nul ne leur alloit au devant. D’autre part le prévôt des marchands, qui se sentoit en la haine et indignation du duc de Normandie, tenoit à amour le roi de Navarre[1] ce qu’il pouvoit, et son conseil et la communauté de Paris, et faisoit, si comme ci-dessus est dit, de jour et de nuit ouvrer à la fermeté de Paris ; et tenoit en la dite cité grand’foison de gens d’armes et de soudoyers Navarrois et Anglois, archers et autres compagnons, pour être plus assur contre ceux qui les guerrioient. Si avoit-il adonc dedans Paris aucuns suffisans hommes, tels que messire Pepin des Essars, messire Jean de Charny, chevaliers, et plusieurs autres bonnes gens, auxquels il déplaisoit grandement de la haine au duc de Normandie, si remède y pussent mettre. Mais nennil ; car le prévôt des marchands avoit si attrait à lui toutes manières de gens et à sa cordelle, que nul ne l’osoit dédire de chose qu’il dit, s’il ne se vouloit faire tantôt tuer, sans point de merci.

Le roi de Navarre, comme sage et subtil, véoit les variemens entre ceux de Paris et le duc de Normandie, et supposoit assez que cette chose ne se pouvoit longuement tenir en tel état ; et n’avoit mie trop grand’fiance en la communauté de Paris. Si se partit de Paris, au plus courtoisement qu’il put, et s’en vint à Saint-Denis ; et là tenoit-il aussi grand’foison de gens d’armes aux sols et aux gages de ceux de Paris. En ce point furent-ils bien six semaines, le duc de Normandie atout grand’foison de gens d’armes, au pont de Charenton, et le roi de Navarre au bourg de Saint-Denis. Si mangeoient et pilloient le pays de tous côtés ; et si ne faisoient rien l’un sur l’autre.


CHAPITRE LXX.


Comment le roi de Navarre jura solemnellement à tenir paix envers le duc de Normandie, et sur quelle condition.


Entre ces deux seigneurs, le duc de Normandie et le roi de Navarre, s’embesognoient bonnes gens et bons moyens, l’archevêque de Sens, l’évêque d’Aucerre, l’évêque de Beauvais, le sire de Montmorency, le sire de Fiennes, le sire de Saint Venant[2] ; et tant allèrent de l’un à l’autre et si sagement exploitèrent, que le roi de Navarre, de bonne volonté, sans nulle contrainte s’en vint près de Charenton devers le duc de Normandie son serourge. Et là eut grand approchement d’amour ; car le dit roi s’excusa au duc de ce dont il étoit devenu en la haine de lui ; et premièrement de la mort de ses deux maréchaux, monseigneur Robert de Clermont et le maréchal de Champagne, et messire Regnault d’Acy, et du dépit que le prévôt des marchands lui avoit fait dedans le palais à Paris ; et jura solemnellement que ce fut sans son sçu, et promit au dit duc qu’il demeureroit de-lez lui à bien et à mal de celle emprise. Et fut là entre eux la paix faite et confirmée ; et dit le roi de Navarre qu’il feroit amender à ceux de Paris la félonnie qu’ils avoient faite, parmi tant que la communauté de Paris demeureroit en paix. Mais le duc devoit avoir le prévôt des marchands et douze bourgeois lesquels qu’il voudroit élire dedans Paris, et iceux corriger à sa volonté[3]. Ces choses ordon-

  1. Il est bien étonnant que Froissart ne parle point du titre de capitaine de Paris donné au roi de Navarre le 15 juin, suivant les Chroniques de France.
  2. Il est possible que tous ces personnages aient eu part aux négociations ; mais il est singulier que Froissart ne nomme point la reine Jeanne de Navarre qui y eut plus de part que personne. Ce n’est pas la seule inexactitude que nous ayons à lui reprocher à ce sujet ; il paraît avoir confondu les deux conférences qui se tinrent pour la paix, l’une le dimanche 8 juillet près de Saint-Antoine, l’autre qui fut entamée par la reine Jeanne le samedi 14 du même mois et terminée par un accord le jeudi 19, sur un pont de bateaux que le régent avait fait construire entre les carrières près Charenton, où il était logé, et Vitry.
  3. Peut-être était-ce une clause secrète du traité : il n’en est point fait mention dans les Chroniques de France ; il y est dit seulement que l’on convint, dans la conférence du 8 juillet, que le régent donnerait au roi de Navarre, pour lui tenir lieu de toutes les demandes qu’il pouvait former, dix mille livres de terre et quatre cent mille florins payables à différens termes, assignés sur les aides imposées pour la guerre, sans que le régent en fût autrement tenu, et qu’à cette condition le roi de Navarre le servirait contre toute personne, excepté le roi de France. La clause la plus onéreuse pour les Parisiens, dans l’accord conclu le 19 juillet, est qu’ils se mettraient