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LIVRE I. — PARTIE II.

leurs vies et leurs membres. Et de ce eurent-ils bonnes lettres, et pouvoient aller quelque part qu’ils voudroient, sauvement, sous le conduit du dit archevêque, du comte de Porcien et du comte de Brayne qui là étoient. Dont il avint que quand ils se partirent, la communauté de Reims et ceux du pays qui là étoient assemblés, leur vinrent sus et en occirent et meurtrirent la plus grand’partie ; de quoi les seigneurs furent durement courroucés, mais amender ne le purent. À grand’meschef purent-ils sauver le capitaine François Hennequin ; et le vouloient les vilains tuer entre leurs mains. Ainsi r’eut le comte de Roussy sa ville et son châtel ; et le rendit cil dit Hennequin par la composition du traité, autrement il ne eût point été sauvé.


CHAPITRE CI.


Comment messire Eustache d’Aubrecicourt fut délivré de prison ; et comment il prit Athegny et plusieurs autres forteresses et gâta le pays environ Reims.


Après la rescousse du châtel de Roussy, mourut Pierre d’Audelée de maladie, sur son lit au châtel de Beaufort en Champagne ; de quoi tous les compagnons et soudoyers qui à lui se tenoient furent moult desbaretés. Si regardèrent les Anglois et les Allemands et ceux qui étoient d’une sorte et qui faisoient guerre pour le roi d’Angleterre, qu’ils ne pouvoient avoir meilleur capitaine que messire Eustache d’Aubrecicourt, qui étoit sain et guéri de ses plaies, et en bon point. Si envoyèrent les compagnons Faucon le Herault, qui étoit adonc en Champagne, en la comté de Vaudemont, parler au dit comte et à monseigneur Henry, dit Kevillart, maître à monseigneur Eustache. Si se porta le traité et parlement ensemble, tellement que messire Courageux de Mauny, sur bon sauf-conduit que Faucon lui impétra, vint devers les parties qui le dit chevalier tenoient. Si fut mis à finance parmi vingt deux mille francs que il paya tous appareillés ; car les compagnons des garnisons et des forteresses de Brie et de Champagne se taillèrent trop volontiers ; si en paya chacun sa part. Ainsi fut délivré monseigneur Eustache et eut parmi sa délivrance son coursier et sa haquenée que madame Isabel de Juliers, comtesse de Kent pour le temps, qui loyaument l’aimoit, lui avoit envoyés d’Angleterre. Et rendirent encore les Anglois aux François, parmi la délivrance de monseigneur Eustache, le bon châtel de Conflans en Champagne qu’ils tenoient.

Quand les Anglois et les Allemands, qui vivoient de guerroyer le royaume de France et avoient vécu un grand temps, eurent messire Eustache de-lez eux, si se tinrent à trop bien payés, et le tinrent leur maître et leur souverain pardessus tous ; et se rallièrent et se rassemblèrent toutes manières de gens et de sortes à lui. Si chevauchèrent et entrèrent en la comté de Retel où ils n’avoient encore été, et prirent et emblèrent la bonne ville de Athegny sur Aisne ; et trouvèrent dedans les Anglois plus de quinze cents pièces de vin, dont ils eurent grand’joie. Si en firent leur souveraine garnison, et coururent tout le pays autour de Reims, et prirent et pillèrent Espernay, Damery, Craonne, et la bonne ville de Vertus, où ils eurent grand profit ; et en firent les Anglois une garnison qui couroit tout le pays d’environ selon la rivière de Marne jusques au Châtel-Thierry et jusques à la Ferté-Milon ; et alloient ceux de Athegny courir tous les jours jusques à Maisières sur Meuse et jusques à Donchery et jusques au Chêne Pouilleux.


CHAPITRE CII.


Comment messire Broquars de Fenestranges défia le duc de Normandie ; et comment messire Robert Canolle ardit et exilla le bon pays de Berry et d’Auvergne.


En celle même saison avint que cil chevalier messire Broquars et de Fenestranges, qui avoit été de l’aide du duc de Normandie et des François encontre les Anglois et les Navarrois, et les avoit aidés à ruer jus et déconfire et bouter hors de leurs forteresses de Champagne, avoit été mauvaisement payé de ses gages, et lui devoit-on bien, que pour lui que pour ses gens, trente mille francs. Si s’en mérencolia en soi-même, et envoya certains hommes de par lui à Paris devers le duc de Normandie, pour avoir cet argent et pour payer ses soudoyers qui se complaignoient à lui tous les jours de son paiement. Le duc de Normandie et son conseil ne répondirent mie bien adonc à la plaisance des gens monseigneur Broquars ; et retournèrent arrière sans rien exploiter, au pays de Champagne, devers messire Broquars, et lui recordèrent ce qui leur plut de paroles, desquelles messire Broquars ne