Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
420
[1359]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

« Quelles nouvelles ? Avez-vous rien vu ni trouvé ? » Ils répondirent : « Sire, oil, assez par raison : ci-dessus en ce bois est messire Regnault de Boullant, espoir lui trentième, et a hui toute cette matinée chevauché. Si vous désire moult avoir en sa compagnie pour chevaucher encore plus avant en sa compagnie devers Saint-Qnentin. » — « Comment, dit messire Galehault, que dites-vous ? Messire Regnault de Boullant est un chevalier d’Allemagne et de la chevauchée le roi d’Angleterre. » — « Tout ce savons-nous bien, sire, » dirent les écuyers. « Et comment êtes-vous partis de lui ? » — « Sire, répondit Bridoulx de Callonne, je le vous dirai. »

Adoncques recorda-t-il toutes les paroles qui ci-dessus sont dites. Et quand messire Galehault les eut ouïes, il pensa sus un petit et en demanda conseil à messire Roger de Coulongne et à aucuns chevaliers qui là étoient, que il étoit bon à faire. Les chevaliers répondirent et dirent : « Sire, vous demandez aventure, et quand elle vous vient en la main si la prenez ; car en toutes manières doit-on et peut par droit d’armes gréver son ennemi. »


CHAPITRE CXIII.


Comment messire Regnault de Boullant navra durement messire Galehault de Ribeumont ; et comment les gens du dit messire Regnault furent tous morts ou pris.


À ce conseil s’accorda messire Galehault légèrement, qui étoit désirant de trouver ses ennemis, et fit restreindre ses plates et ressangler son coursier, et mit son bassinet à visière, par quoi il ne put être connu ; et ainsi firent tous les autres ; et fit encore renvelopper son pennon, et puis issirent du village et prirent les champs. Si chevauchèrent à l’adresse devers le bois où messire Regnault de Boullant les attendoit, et pouvoient être environ soixante-dix armures de fer, et messire Regnault n’en avoit que trente. Sitôt que messire Regnault les aperçut sur les champs, il s’appareilla moult bien et assembla ses gens et se partit moult ordonnément de son embûche, son pennon tout développé devant lui, et s’en vint tout le petit pas devers les François qu’il cuidoit être Anglois. En approchant il leva sa visière et salua monseigneur Galehault au nom de monseigneur Berthelemieu de Bruves. Messire Galehault se tint tout couvert et lui répondit assez feintement, et puis dit : « Allons, allons, chevauchons avant. » Donc se trairent ses gens tous d’un lez et firent leur route et les Allemands la leur. Quand messire Regnault de Boullant en vit la manière et comment messire Galehault regardoit de côté sur lui à la fois et point ne parloit, si entra en souspeçon ; et n’eut mie chevauché en cet état le quart d’une lieue quand il s’arrêta tout coi de-lez son pennon et entre ses gens, et dit en haut à mon sire Galehault : « Je fais doute, sire chevalier, que vous ne soyez point messire Berthelemieu de Bruves ; car je le connois assez, mais point encore je ne vous ai ravisé, si vueil que vous vous nommez ainçois que je chevauche plus avant en votre compagnie. » À ces mots leva messire Galehault la main, et en lui approchant devers le chevalier pour le prendre par les rênes de son coursier, écria : « Notre dame, Ribemont ! » Et tantôt messire Roger de Coulongne dit : « Coulongne, à la rescousse ! » Quand messire Regnault de Boullant se vit en ce parti, il ne fut mie trop effréé, mais mit la main moult appertement à une épée de guerre qu’il portoit à son côté, forte et roide, et la traist hors du fourreau ; et ainsi que messire Galehault s’approcha, qui le cuida prendre et arrêter par le frein, messire Regnault lui encousit cette roide épée ens ou côté, par telle manière qu’il lui perça tout outre ses plates et le fit saigner outre à l’autre lez, et puis retraist son épée et férit cheval des éperons et laissa monseigneur Galehault en ce parti durement navré. Quand les gens de mon sire Galehault virent leur maître et capitaine en cel état, si furent ainsi que tous forsennés, et commencèrent à eux défendre et à entrer ès gens monseigneur Regnault de Boullant, et les assaillirent fièrement. Si en y eut aucuns rués par terre.

Sitôt que le dit messire Regnault eut donné le coup à monseigneur Galehault, il férit coursier des éperons et prit les champs. Là eut aucuns apperts écuyers des gens monseigneur Galehault qui se mirent en chasse après lui, pendant que ses gens se combattoient et que les François entendoient à eux gréver ce qu’ils pouvoient. Messire Regnault qui étoit fort chevalier, dur et hardi malement et bien arrêté et avisé en ses besognes, n’étoit mie trop effréé ; mais quand il véoit que ces seigneurs le suivoient de si près que retourner le convenoit, ou recevoir blâme, il s’arrêtoit en son pas sur l’un d’eux et donnoit un si grand coup de sa dite épée que cil qui féru