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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

sans rencontre, entrèrent en la Thierasche et en chemin de Reims, et vinrent un jour, à heure de tierce ou plus matin, en un village qu’on appelle Herbegny[1]. Si eurent conseil que ils se arrêteroient là pour eux un petit rafraîchir et leurs chevaux, et puis monteroient sans point d’arrêt, et de bonne heure ils viendroient devant Reims en l’ost du roi d’Angleterre. Adonc descendirent-ils en la dite ville et se commencèrent à ordonner pour establer leurs chevaux.

Pendant que les compagnons s’appareilloient, le sire de Gommignies, qui étoit adonc jeune et volontereux, dit qu’il vouloit chevaucher hors de ce village et savoir s’il trouveroit mieux à fourrer. Si appela cinq ou six compagnons des siens et leurs pages, et Cristofle de Mur, un sien écuyer qui portoit son pennon, et se partirent de Herbegny tout roidement sans point de guet.

Or étoient ces chevaliers François et leurs gens en embûche dehors ce village, qui les avoient poursuivis le jour devant et la nuit après, et tiroient que ils les pussent trouver à leur avantage ; et si ils ne les eussent trouvés sur les champs, ils avoient en propos que ils entreroient au village eux réveiller : mais le sire de Gommignies et aucuns de ses gens leur churent ainsi en la main. Quand les François aperçurent chevaucher le seigneur Gommignies si seulement, si furent de premier tous émerveillés quels gens ce pouvoient être ; et envoyèrent deux de leurs coureurs devant, qui rapportèrent que c’étoient leurs ennemis. Quand ils ouïrent ces nouvelles, si se partirent de leur embûche au plus tôt qu’ils purent, en écriant : « Roye au seigneur ! Roye ! » et se partirent les chevaliers devant monseigneur, de Roye, sa bannière devant lui toute développée, messire Flamens de Roye son cousin, messire Louis de Robertsart, le chanoine de Robertsart son frère, qui étoit écuyer, messire Chrestien de Bommeroye et les autres, chacun son glaive en son poing, et abaissés les fers devers leurs ennemis. Quand le sire de Gommignies se vit en ce parti et ainsi hâté, si fut tout émerveillé. Non pourquant il eut bon avis et hardiment de arrêter et de attendre les ennemis, et ne daignèrent, il et les siens, fuir : si abaissèrent leurs glaives et se mirent en ordonnance de combattre. Là vinrent les François, bien montés, et se boutèrent roidement en ces Anglois et Gascons où il n’avoit mie trop grand’route. Si fut le sire de Gommignies de première venue rué jus de coup de glaive, et n’eut oncques puis espace en la place de remonter. Là se mirent-ils à defense, il et ses gens, moult vaillamment, et y firent maintes belles appertises d’armes ; mais finablement le sire de Gommignies ne put durer : si fut pris et fiancé prisonnier, et deux écuyers de Gascogne avec lui, qui trop vaillamment et bien se combattirent et qui moult envis se rendirent : mais rendre les convint, autrement ils eussent été morts, ainsi que fut Cristofle de Mur, un bon appert écuyer qui portoit le pennon du seigneur de Gommignies. Bref, tous ceux qui là étoient furent morts ou pris, excepté les varlets qui se sauvèrent par bien fuir, car ils étoient bien montés ; et aussi on ne fit point de chasse après eux, car ils entendirent à plus grand’chose.


CHAPITRE CXVII.


Comment le sire de Roye et sa route déconfirent les gens du sire de Gommignies, et furent tous morts ou pris.


Quand les chevaliers et écuyers qui pris avoient le sire de Gommignies l’eurent rué jus et ceux qui étoient avec lui issus du village, ils ne voulurent pas là arrêter, mais brochèrent chevaux des éperons et se boutèrent au village dessus dit en écriant ; « Roye au seigneur ! Roye ! » Dont furent tous ceux qui là étoient moult ébahis, quand ils sçurent leurs ennemis si près d’eux ; et étoient la plus grand’partie d’eux tous désarmés et tous épars : si ne se purent rallier ni mettre ensemble. Là les prirent les François à volonté, en granges, en logis et en fours ; et y eut le dit chanoine de Robertsart plusieurs prisonniers, pour tant que les Hainuyers le connoissoient mieux que nul des autres. Bien est vérité qu’il en y eut aucuns qui se recueillirent en une petite forte maison avironnée d’eau, qui siéd en ce village de Herbegny ; et conseillèrent les aucuns qui dedans étoient que on se défendit, et y mettoient bonne raison. « Cette maison est assez forte pour nous tenir tant que le roi d’Angleterre, qui est devant Reims, orra nouvelles de nous ; et sitôt qu’il pourra savoir que nous sommes si appressés des François, il n’est nulle doute qu’il nous envoiera conforter. » Là répondirent les autres qui n’étoient mie assurés : « Nous

  1. Village non loin de Reims.