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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

on eût paix au roi de Navarre. Nonobstant ce et toutes guerres, on ne pouvoit briser ni ôter la dévotion du roi qu’il ne fit pèlerinage ; et l’accorda et jura au roi de Chypre à être à Marseille, du mois de mars qui venoit en un an que on compteroit l’an mil trois cent soixante-quatre[1], et que sans faute adonc il passeroit et livreroit pourvéances à tous ceux qui passer voudroient. Sur cel état se partit le roi de Chypre du roi de France, et vit qu’il avoit bon terme encore de retraire en son pays et de faire ses pourvéances. Si dit et considéra en soi-même que il vouloit aller voir le roi Charles de Navarre son cousin, et traiter bonne paix et accord entre lui et le roi de France. Si se mit à voie en grand arroy, et issit de Paris, et prit le chemin de Rouen, et fit tant qu’il y vint. Là le reçut l’archevêque de Rouen, messire Jean d’Alençon[2] son cousin, moult grandement, et le tint de-lez lui moult aisement trois jours. Au quatrième il s’en partit, et prit le chemin de Caen, et exploita tant qu’il passa les guets Saint-Clément et vint en la forte ville de Chierebourc. Là trouva-t-il le roi de Navarre et monseigneur Louis son frère à bien petit de gens. Ces deux seigneurs de Navarre recueillirent le roi de Chypre liement et grandement, et le festoyèrent selon leur aisement moult honorablement ; car bien le pouvoient et savoient faire. En ce terme que le roi de Chypre se tenoit de-lez eux, il s’avança de traiter pour paix, si trouver la pût, entre ces seigneurs d’une part et le roi de France d’autre part ; et en parla plusieurs fois moult ordonnément ; car il fut sire de grand avis et bien enlangagé et moult aimé. À toutes ses paroles répondirent ces deux seigneurs de Navarre moult gracieusement, et se excusèrent en ce que point n’étoit leur coulpe que ils n’étoient bons amis au roi de France et au royaume ; car grand désir l’avoient de l’être, mais que on leur rendit leur héritage que on leur tenoit et empêchoit à tort. Le roi de Chypre eût volontiers amoyenné ces besognes, s’il eût pu et vu que les enfans de Navarre s’en fussent mis sur lui : mais leur traité ne s’étendit mie si avant.

Quand le roi de Chypre eut été à Chierebourc environ quinze jours, et que les dits seigneurs l’eurent festoyé selon leur pouvoir moult grandement, il prit congé d’eux et dit qu’il ne cesseroit jamais, si auroit-il été en Angleterre, et là prêché et ennorté au roi d’Angleterre la croix à prendre et à ses enfans aussi. Si se partit de Chierebourc et fit tant par ses journées qu’il vint à Caen ; et passa outre et vint au Pont-de-l’Arche : et là passa Seine ; et puis chevaucha tant par ses journées qu’il entra en Ponthieu, et là passa la rivière de Somme à Abbeville, et puis vint à Rue, à Monstereul, et puis à Calais, où il trouva trois ducs, le duc d’Orléans, le duc de Berry et le duc de Bourbon ; car le duc d’Anjou étoit retourné en France : je ne sais mie sur quel état[3].


CHAPITRE CLXIII.


Comment le roi de Chypre arriva à Londres, où il fut grandement fêté du roi d’Angleterre ; et comment le roi d’Escosee et le roi de Chypre s’entrefirent grand’fête à Londres.


Ces trois ducs dessus nommés reçurent, ainsi comme prisonniers, en la ville de Calais, le roi de Chypre moult liement, et le dit roi s’acquitta aussi d’eux moult doucement. Si furent là ensemble plus de douze jours. Finablement, quand le roi de Chypre eut vent à volonté, il passa la mer et arriva à Douvres. Si se tint là et rafraîchit par deux jours, pendant que on déchargea ses vaisseaux et mit hors les chevaux ; puis chevaucha le roi de Chypre à petites journées, et s’en vint à son aise devers la bonne cité de Londres. Quand il y parvint, il fut grandement bien fêté des barons de France qui là se tenoient, et aussi de ceux d’Angleterre qui chevauchèrent contre lui ; car le roi Édouard y envoya ses chevaliers, le comte de Harford, monseigneur Gautier de Mauny, le seigneur Despensier, monseigneur Raoul de Ferrieres, monseigneur Richard de Pennebruge, monseigneur Alain de Bousqueselle et monseigneur Richard Sturi, qui l’accompagnèrent et menèrent jusques à son hôtel parmi la cité de Londres.

Je ne vous pourrois pas dire ni conter en un jour les nobles dîners, les soupers et les festoiemens, les conjouissemens, les dons, les présens et les joyaux que on fit, donna et présenta, espécialement le roi d’Angleterre et la roine Philippe

  1. Nouveau style, 1365.
  2. Il se nommait Philippe et non Jean.
  3. Il n’y avait point eu de traité particulier pour la délivrance du duc d’Anjou : ce prince, ennuyé du peu d’empressement qu’on mettait à lui procurer sa liberté, et comptant sur la faiblesse du roi son père, s’enfuit de Calais et revint en France au mépris de sa parole.