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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

il faisoit et fait encore au pays de Bretagne plusieurs miracles tous les jours.


CHAPITRE CXCVII.


Comment le comte de Montfort donna trêve pour enterrer les morts ; et comment le roi de France envoya le duc d’Anjou en Bretagne pour réconforter la femme de monseigneur Charles de Blois.


Après cette ordonnance, et que tous les morts furent dévêtus, et que leurs gens furent retournés de la chasse, ils se trairent devers leurs logis dont au matin ils s’étoient partis. Si se désarmèrent, et puis se aisèrent de ce qu’ils avoient, et bien avoient de quoi ; et entendirent à leurs prisonniers, et firent remuer et appareiller les navrés, et leurs gens mêmes, qui étoient navrés et blessés, firent-ils remettre à point. Quand ce vint le lundi au matin, le comte de Montfort fit à sçavoir sur le pays à ceux de la cité de Rennes et des villes environ que il donnoit et accordoit trêves trois jours, pour recueillir les morts dessus les champs et ensevelir en terre sainte : laquelle ordonnance on tint à moult bonne. Si se tint le comte de Montfort pardevant le châtel d’Auray à siége, et dit que point ne se partiroit, si l’auroit à sa volonté. Ces nouvelles s’espardirent en plusieurs lieux et en plusieurs pays, comment messire Jean de Montfort, par le conseil et confort des Anglois, avoit obtenu la place contre monseigneur Charles de Blois, et lui mort et déconfit, et mort et pris toute la fleur de la chevalerie de Bretagne qui faisoient partie contre lui. Si en avoit messire Jean Chandos grandement la grâce et la renommée ; et disoient toutes manières de gens, chevaliers et écuyers qui à la besogne avoient été, que par lui et son sens et sa prouesse avoient les Anglois et les Bretons obtenu la place.

De ces nouvelles furent tous les amis et les confortans à messire Charles de Blois courroucés ; ce fut bien raison ; et par espécial, le roi de France ; car cette déconfiture lui touchoit grandement, pourtant que plusieurs bons chevaliers et écuyers de son royaume y avoient été morts, et pris messire Bertran du Guesclin, que moult aimoit, le comte d’Aucerre, le comte de Joigny et tous les barons de Bretagne, sans nullui excepter. Si envoya le dit roi de France son frère, monseigneur Louis duc d’Anjou, sur les marches de Bretagne, pour reconforter le pays qui étoit moult désolé, pour l’amour de leur seigneur monseigneur Charles de Blois que perdu avoient, et pour reconforter aussi madame de Bretagne femme au dit monseigneur Charles de Blois, qui étoit si désolée et déconfortée de la mort de son mari que rien n’y failloit. À ce étoit le dit duc d’Anjou bien tenu de faire, quoique volontiers le fît ; car il avoit épousé la fille du dit monseigneur Charles et de la dite dame. Si promettoit de grand’volonté aux bonnes villes, cités et châteaux de Bretagne et au demeurant du pays conseil, confort et aide en tous cas : en quoi la dame que il clamoit mère et le pays eurent une espace de temps grand’fiance, jusques adonc que le roi de France, pour tous périls ôter et eschever, y mit attrempance, si comme vous orrez recorder assez tôt.

Si vinrent aussi ces nouvelles au roi d’Angleterre ; car le comte de Montfort avoit écrit, au cinquième jour que la bataille avoit été devant Auray, en la ville de Douvres ; et en apporta lettres de créance un varlet poursuivant armes qui avoit été à la bataille, et lequel le roi d’Angleterre fit tantôt héraut, et lui donna le nom de Windesore et moult grand profit ; par lequel héraut et aucuns chevaliers d’un lez et de l’autre qui furent à la bataille je fus informé. Et la cause pour quoi le roi d’Angleterre étoit adonc à Douvres, je la vous dirai.


CHAPITRE CXCVIII.


Comment le roi d’Angleterre et le comte de Flandres, qui étoient à Douvres pour traiter du mariage de leurs enfans, furent grandement réjouis de la déconfiture d’Auray.


Il est bien vérité que un mariage entre monseigneur Aymon comte de Cantebruge, fils au dit roi d’Angleterre, et la fille du comte Louis de Flandre, avoit été traité et pourparlé trois ans en devant ; auquel mariage le comte de Flandre étoit nouvellement assenti et accordé, mais que le pape Urbain Ve les voulsist dispenser ; car ils étoient moult prochains de lignage. Et en avoient été le duc de Lancastre et messire Aymon son frère et grand’foison de barons et de chevaliers en Flandre, devers le dit comte Louis

    saints. M. Duchesne, dans son Histoire généalogique de la maison de Châtillon, a pensé que Charles de Blois avait été réellement canonisé ; mais les preuves qu’il en donne ne paraissent pas suffisantes pour établir solidement son opinion.