Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
502
[1365]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

donna le beau châtel de Nemours et toutes les appendances de la châtellerie, où bien appartiennent trois mille francs par an de revenue. Et en devint homme au roi de France le dit captal : duquel hommage le dit roi fut moult rejoui, car il aimoit grandement le service d’un tel chevalier comme le dit captal étoit pour le temps. Mais il ne le fut mie trop longuement ; car quand il revint en la principauté, devers le prince qui étoit informé de cette ordonnance, on le blâma durement, et dit qu’il ne se pouvoit acquitter loyaument à servir deux seigneurs, et qu’il étoit trop convoiteux, quand il avoit pris terre en France où il n’étoit ni aimé ni honoré. Quand il se vit en ce parti et si durement reçu et appelé du prince de Galles son naturel seigneur, il se vergogna et dit en lui excusant, qu’il n’étoit mie trop avant lié au roi de France, et que bien pouvoit défaire tout ce que fait en étoit. Si renvoya par un sien écuyer son hommage au roi de France, et renonça à tout ce que donné lui avoit ; et demeura depuis le dit captal de-lez le prince.

Parmi la composition et ordonnance de la paix qui se fit entre le roi de France et le roi de Navarre, demeurèrent au dit roi de France la ville de Mante et de Meulan, et le roi lui rendit autres châteaux en Normandie[1]. En ce temps se partit de France messire Louis de Navarre, et passa outre en Lombardie pour épouser la roine de Naples[2] : mais à son département il emprunta au roi de France, sur aucuns châteaux qu’il tenoit en Normandie, soixante mille francs[3]. Lequel messire Louis, depuis qu’il eut épousé la dite roine, ne vesqui point longuement : Dieu lui pardoint ses deffautes ; car il fut moult courtois chevalier.


CHAPITRE CCII.


Comment les Compagnies gâtoient et exiloient le royaume de France, et comment moult de gens en murmuroient contre le roi d’Angleterre et le prince de Galles son fils.


En ce temps étoient les Compagnies si grandes en France, que on ne savoit que faire ; car les guerres du roi de Navarre et de Bretagne étoient faillies. Si avoient ces compagnons qui poursuivoient les armes, appris à piller et à vivre d’avantage : si ne s’en pouvoient, et aussi ne vouloient tenir ni abstenir ; et tout leur recours étoit en France, et appeloient ces Compagnies le royaume de France leur Chambre. Toutevoies ils n’osoient converser en Aquitaine, la terre du prince, ni on ne les y eût mie soufferts ; et aussi au voir dire, la plus grand’partie des capitaines étoient Gascons et Anglois et hommes au roi d’Angleterre ou du prince : aucuns Bretons y avoit, mais c’étoit petit. De quoi moult de bonnes gens au royaume de France murmuroient et parloient sur la partie du roi d’Angleterre et du prince ; et disoient couvertement qu’ils ne se acquittoient mie bien envers le roi de France, quand ils n’aidoient à bouter hors ces males gens du dit royaume. Néanmoins ils les avoient plus chers arrière d’eux que de-lez eux. Si considérèrent les sages hommes du royaume de France que, si on n’y mettoit remède et conseil, ou que on les combattît, ou que on les envoyât hors par grand’mise d’argent, ils détruiroient le noble royaume de France et sainte chrétienté. Adonc avoit un roi en Honguerie[4] qui les voulsist bien avoir de-lez lui, et les eût trop bien embesognés contre les Turcs, à qui il guerroyoit, et qui lui portoient moult de dommages. Si en escripsit devers le pape Urbain Ve, qui étoit pour le temps en Avignon, qui volontiers en eût vu la délivrance du royaume, et aussi devers le roi de France et devers le prince de Galles. Si traita-t-on devers les capitaines et leur offrit-on grand argent et passages ; mais oncques ne s’y voulurent consentir ; et répondirent que jà ils n’iroient si loin guerroyer ; car il fut là dit entre eux d’aucuns compagnons, qui bien connoissoient le pays de Honguerie, que il y avoit tels détroits que, s’ils y étoient embattus, jamais n’en ystroient, et les y feroit-on mourir de male mort.

  1. Charles V lui céda de plus la ville et la baronie de Montpellier pour la tenir en pairie, en échange des villes de Mante et Meulan.
  2. Froissart a confondu la reine Jeanne de Naples avec une autre princesse de la même maison, nommée pareillement Jeanne, fille de Charles d’Anjou-Sicile, duc de Duras, que Louis de Navarre épousa en effet en 1366.
  3. Louis de Navarre n’emprunta au roi que 50,000 livres, pour la sûreté desquelles il lui remit entre les mains le comté de Beaumont-le-Roger, Breval, Anet, etc.
  4. Louis Ier surnommé le Grand.