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LIVRE I. — PARTIE II.

l’autre, longuement ensemble en parlement ; et là fut devisé, ordonné et accordé quelle chose chacun devoit avoir et faire ; et là furent renouvelés et convenancés quels traités avoient été entre ces parties en la cité de Bayonne. Et là sçut de vérité le dit roi de Navarre quelle chose il devoit avoir et tenir sur le royaume de Castille ; et jurèrent bonne paix amour et confédération ensemble le roi Dam Piètre et lui ; et se départirent de leur parlement amiablement ensemble sur l’ordonnance que le prince et son ost pouvoient passer quand il leur plairoit, et trouveroient le passage et les détroits tous ouverts, et tous vivres appareillés parmi le royaume de Navarre, parmi les payant.

Adonc se retraist le dit roi de Navarre en la cité de Pampelune, et le prince et son frère et le roi Dam Piètre en leurs logis en la cité de Dasc. Encore étoient à venir plusieurs grands seigneurs de Poitou, de Bretagne et de Gascogne en l’ost du prince qui se tenoient derrière ; car, si comme il est dit ci-dessus, on ne sçut clairement jusques à la fin de ce parlement si le prince auroit le passage ou non ; et mêmement on supposoit en France que ils ne passeroient point et que le roi de Navarre lui briseroit son voyage, et on en vit le contraire. Donc quand les chevaliers et les écuyers, tant d’un côté comme de l’autre, en sçurent la vérité et que le passage étoit ouvert, si avancèrent leurs besognes, et se hâtèrent du plus qu’ils purent, car ils le sçurent tantôt et que le prince passeroit et que on ne se retourneroit point sans bataille. Si vinrent le sire de Clisson à belle route de gens d’armes, et aussi au dernier, et moult envis, le sire de Labreth atout deux cents lances, et s’accompagna en voyage avec le captal de Buch.

Tous ces traités, ces parlemens et ces détriemens étoient sçus en France ; car toujours y avoit messagers allans et venans sur les chemins, qui portoient et rapportoient les nouvelles. De quoi quand messire Bertran du Guesclin, qui se tenoit de-lez le duc d’Anjou, sçut que le prince passeroit et que le passage de Navarre lui étoit ouvert, si avança ses besognes et renforça ses semonces et son mandement, et connut tantôt que cette chose ne se départiroit jamais sans bataille. Si se mit au chemin par devers Arragon pour venir devers le roi Henry ; et s’avança du plus qu’il put ; et aussi le suivirent toutes manières de gens d’armes qui en étoient mandés et priés, et plusieurs aussi du royaume de France et d’ailleurs qui en avoient affection et qui se vouloient avancer.

Or parlerons-nous du passage du prince et comment ordonnément il passa, et toute sa route.


CHAPITRE CCXIX.


Comment le duc de Lancastre, qui faisoit l’avant-garde, passa les détroits de Navarre, et quels seigneurs il y avoit avecques lui.


Entre Saint-Jean du pied des Ports et la cité de Pampelune sont les détroits des montagnes et les forts passages de Navarre qui sont moult périlleux et très félons à passer, car il y a cent lieux sur ces passages que trente hommes les garderoient à non passer contre tout le monde. Et adonc faisoit moult froid sur ce passage, car ce fut au milieu de février ou environ qu’ils passèrent. Ainçois qu’ils se missent à voie ni se hâtassent de passer, les seigneurs regardèrent et conseillèrent comment ils passeroient ni par quelle ordonnance. Si virent bien, et leur fut dit de ceux qui connoissoient le passage, qu’ils ne pouvoient passer tous ensemble. Et pour ce s’ordonnèrent-ils à passer en trois batailles et par trois jours, le lundi, le mardi et le mercredi. Le lundi passèrent ceux de l’avant-garde desquels le duc de Lancastre étoit capitaine. Si passa en sa compagnie le connétable d’Aquitaine, messire Jean Chandos, qui bien avoit mille deux cents pennons dessous lui, tous parés de ses armes d’argent à sept pels aiguisés de gueules, c’étoit moult belle chose à regarder. Là étoient les deux maréchaux d’Aquitaine aussi, messire Guichard d’Angle et messire Étienne de Cousentonne, et avoient ceux le pennon Saint-George en leur compagnie. Là étoient en l’avant-garde avec le dit duc : messire Guillaume de Beauchamp fils au comte de Warvick, messire Hugues de Hastingues, le sire de Neufville, le sire de Rais, Breton, qui servoit messire Jean Chandos à trente lances en ce voyage et à ses frais pour la prise de la bataille d’Auray. Là étoient : le sire d’Aubeterre, messire Garsis du Châtel, messire Richard Canton, messire Robert Ceni, messire Robert Briquet, Jean Cresuelle, Aymery de Rochechouart, Gaillard de la Motte, Guillaume de Clayton, Willebolz le Bouteiller et Pennenel ; et tous ceux étoient à