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LIVRE I. — PARTIE II.

çonna à trente mille francs, et le comte de Porcien à dix mille francs. Et encore demeura le sire de Roye en prison, en grand danger, car il n’étoit mie bien de cour. Si lui convint souffrir et endurer le mieux qu’il put, tant que jour de délivrance vint pour lui par grand’fortune et aventure, si comme vous orrez avant en l’histoire.


CHAPITRE CCLXVI.


Comment le roi d’Anglelerre envoya grands gens d’armes sur les frontières d’Escosse, et comment le duc de Berry et le duc d’Anjou firent leurs mandements pour aller contre le prince.


Quand le roi d’Angleterre se vit défier du roi de France, et la comté de Ponthieu perdue, qui tant lui avoit coûté au réparer châteaux, villes et maisons, car il y avoit mis cent mille francs pardessus toutes revenues, et il se vit guerroyé de tous côtés, car dit lui fut que les Escots étoient alliés au roi de France, qui lui feroient guerre[1], si fut durement courroucé et mélencolieux. Et toutes fois il douta plus la guerre des Escots que des François, car bien savoit que les Escots ne l’aimoient pas bien, pour les grands dommages que du temps passé il leur avoit faits. Si envoya tantôt grands gens sur les frontières d’Escosse, à Bervich, à Rochebourck, au Nuef-Chasteau sur Tine et là partout sur les frontières ; et aussi il mit grands gens d’armes sur mer au lez devers Hantonne, Grenesée, l’île de Wisk et Gersé ; car on lui dit que le roi de France faisoit un trop grand appareil de navées et de vaisseaux pour venir en Angleterre. Si ne se savoit de quel part guetter ; et vous dis que les Anglois furent adonc bien ébahis.

Sitôt que le duc d’Anjou et le duc de Berry sçurent que les défiances étoient faites et la guerre ouverte, si ne voulurent mie séjourner, mais firent leurs mandemens grands et espéciaux, l’un en Auvergne et l’autre à Toulouse, pour envoyer en la prinçauté. Le duc de Berry avoit de son mandement tous les barons d’Auvergne et de l’archevêché de Lyon, et de l’évêché de Mâcon : le seigneur de Beaujeu, le seigneur de Villars, le seigneur de Tournon, messire Godefroy de Boulogne, monsire Jean d’Armignac son serourge, monseigneur Jean de Villemur, le seigneur de Montagu, le seigneur de Chalençon, messire Hue Dauphin, le seigneur d’Achier, le seigneur d’Apchon, le seigneur de Rochefort et moult d’autres. Si se trairent tantôt ces gens d’armes en Touraine et sur les marches de Berry, et commencèrent fort à guerroyer et à hérier le bon pays de Poitou ; mais ils le trouvèrent garni de gens d’armes, de bons chevaliers et écuyers. Si ne l’eurent mie d’avantage.

Adonc étoient sur les marches de Touraine et en garnison ès forteresses françoises messire Louis de Saint-Julien, messire Guillaume de Bordes, et Kerauloet Breton. Ces trois étoient compagnons et grands capitaines de gens d’armes. Si firent en ce temps plusieurs grands appertises d’armes sur les Anglois, ainsi comme vous orrez avant en l’histoire.


CHAPITRE CCLXVII.


Comment le roi d’Angleterre envoya le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch au prince son fils ; et comment ils passèrent parmi Bretagne.


Le duc de Lancastre de son héritage tenoit un château en Champagne, entre Troyes et Châlons, qui s’appeloit Beaufort, duquel un écuyer anglois, qui s’appeloit le Poursuivant d’Amour, étoit capitaine. Quand cil écuyer vit que la guerre étoit ainsi renouvelée entre le roi de France et le roi d’Angleterre, il avoit si enamouré le royaume de France qu’il se tourna François, et jura foi et loyauté à tenir de ce jour en avant, comme bon François, au roi de France, et le roi de France pour ce lui fit grand profit et lui laissa en sa garde, avec un autre écuyer de Champagne, le dit châtel de Beaufort. Cil Poursuivant d’Amour et Yvain de Galles étoient grands compagnons ensemble, et firent depuis sur les Anglois et ceux de leur côté maintes grands appertises d’armes. Et aussi messire le chanoine de Robertsart avoit paravant été bon et loyal François ; mais à celle guerre renouvelée, il se tourna Anglois, et devint homme de foi et de hommage au roi d’Angleterre, qui fut de son service moult joyeux.

Ainsi se tournoient les chevaliers et les écuyers d’un lez et de l’autre. Et tant avoit procuré le duc d’Anjou devers les compagnies Gascons messire Perducas de Labreth, le petit Meschin,

  1. Si Édouard eut quelques inquiétudes du côté de l’Écosse, elles furent bientôt dissipées par la trêve de quatorze ans conclue cette année entre les deux couronnes d’Angleterre et d’Écosse, qui fut signée le 20 juillet par David Bruce, et le 24 août par Édouard.