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LIVRE I. — PARTIE II.


CHAPITRE CCLXVIII.


Comment le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch arrivèrent en Angoulême ; et comment le prince les envoya à courir la comté de Pierregord.


Le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch s’étoient tenus à Saint-Malo de l’Isle atout leur charge, si comme ci-dessus est dit, tant que toutes les compagnies de leur côté furent passées outre, par raccord du pays de Bretagne et par la bonne diligence que le dit duc de Bretagne y mît. Quand ils se furent là rafraîchis, et ils eurent le congé et l’accord de passer, ils se départirent de Saint-Malo et s’en vinrent par leurs journées en la cité de Nantes, et là les reçut le dit duc grandement et honorablement ; et se tinrent de-lez lui trois jours, et y rafraîchirent eux et leurs gens. Au quatrième jour ils passèrent outre la grosse rivière de Loire, au pont de Nantes en Bretagne, et puis cheminèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent en Angoulême, où ils trouvèrent le prince et madame la princesse. De la venue du comte de Cantebruge son frère et du comte de Pennebroch fut le prince grandement réjoui, et leur demanda du roi leur père et de madame la roine leur mère et de ses autres frères comment ils le faisoient. Et les dessus dits en parlèrent bien à point, ainsi que il appartenoit. Quand ils eurent séjourné de-lez le prince trois jours et ils s’y furent rafraîchis, le prince leur ordonna de partir d’Angoulème et de faire une chevauchée en la comté de Pierregord. Les deux dessus dits seigneurs d’Angleterre, et les chevaliers qui avec eux étoient venus, se consentirent et accordèrent légèrement, et se ordonnèrent et pourvurent selon ce qu’il appartenoit ; et se départirent et prirent congé du prince, et s’en allèrent en grand arroy : et étoient bien trois mille combattans, parmi plusieurs chevaliers et écuyers de Poitou, de Xaintonge, de Quersin, de Limosin, de Rouergue, que le prince ordonna et commanda d’aller en leur compagnie. Si chevauchèrent iceux seigneurs et ces gens d’armes, et entrèrent efforcément en la comté de Pierregord. Si la chevauchèrent et commencèrent à courir et assaillir, et y tirent plusieurs grands dommages. Et quand ils eurent ars et couru la plus grand’partie du plat pays, ils s’en vinrent mettre le siége devant une forteresse que on appelle Bourdille[1] de laquelle étoient capitaines deux écuyers de Gascogne et frères, Ernaudon et Bernardet de Batefol, lesquels s’ordonnèrent à eux défendre bien et hardiment.


CHAPITRE CCLXIX.


Comment messire Simon de Burlé et messire d’Angouse furent déconfits des François, dont le roi de France fut grandement joyeux.


En la garnison de Bourdille, en la comté de Pierregord, avec les deux dessus nommés capitaines, avoit grand’foison de bons compagnons, que le comte de Pierregord y avoit ordonnés et établis pour aider à garder la forteresse, laquelle étoit bien pourvue de toute artillerie, de vins et de vivres et de toutes autres pourvéances, pour la tenir bien et longuement, et aussi ceux qui la gardoient en étoient en bonne volonté. Si eurent devant Bourdille, le siége pendant, plusieurs grands appertises d’armes faites, maint assaut et mainte envaye, mainte recueillette et mainte escarmouche, et presque tous les jours ; car les écuyers dessus dits étoient hardis, entreprenans et orgueilleux, et qui petit aimoient les Anglois. Si venoient souvent à leurs barrières escarmoucher : une fois perdoient, et l’autre gagnoient, ainsi que les aventures aviennent en tels faits d’armes et en semblables. Et d’autre part en Poitou, sur la marche du pays d’Anjou et de Touraine, étoient bien mille combattans François, Bretons, Bourguignons, Picards, Normands et Angevins ; et couroient moult souvent et tous les jours en la terre du prince, et y faisoient grand dommage : desquels étoient capitaines messire Jean de Bueil, messire Guillaume des Bordes, messire Louis de Saint-Julien et Kerauloet le Breton.

À l’encontre de ces gens d’armes se tenoient aussi, sur les frontières de Poitou et de Xaintonge, aucuns chevaliers du prince, et par espécial messire Simon de Burlé et messire d’Angouses ; mais ils n’avoient mie la quarte partie de gens que les François, quand ils chevauchoient, se trouvoient ; car ils étoient toujours mille combattans ou plus ensemble, et les Anglois deux ou trois cents du plus ; car le prince en avoit envoyé en trois chevauchées grand’foison, à Montalban plus de cinq cents avec

  1. Bourdeille, bourg du Périgord, sur la Drôme.