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LIVRE I. — PARTIE II.

seaux et en mirent petit à petit toutes leurs garnisons hors et se herbergèrent tous en la dite ville.

En celle saison avoit le roi d’Angleterre escript et prié espécialement messire Robert de Namur qu’il le voulsist servir, sa guerre faisant, à toute sa charge de gens d’armes. Le dit messire Robert, qui toujours avoit été bon Anglois et loyal, avoit répondu qu’il seroit appareillé sitôt que on le manderoït et qu’il sauroit que le roi ou un de ses enfans seroit à Calais, ou trait sur les champs pour chevaucher sur France. Si que, si très tôt qu’il entendit que le duc de Lancastre étoit arrivé à Calais, il semonni tous ses compagnons et ceux dont il vouloit être aidé et servi, et fit tout son harnois appareiller moult efforcément, ainsi comme à lui appartenoit.

Or retournerons-nous aux besognes de Poitou.


CHAPITRE CCLXXXIV.


Comment le châtel de la Roche sur Yon fut rendu aux Anglois, et comment le capitaine du dit lieu fut mis à mort par ordre du duc d’Anjou.


Vous devez savoir que quand le département fut fait des barons et des chevaliers de Guyenne qui avoient chevauché en Quersin et en Rouergue, et Chandos le héraut eut apporté les nouvelles du prince, ils retournèrent tous par un accord en la ville d’Angoulême, où ils trouvèrent le prince qui les reçut moult liement. En petit devant ce étoit retourné le comte de Cantebruge, le comte de Pennebroch et leurs gens, après le conquêt de Bourdille, si comme ci-dessus est dit et contenu. Si se conjouirent et firent grand’fête ces seigneurs et ces barons, quand ils se retrouvèrent tous ensemble, et se avisèrent et conseillèrent où ils se trairoient, pour mieux exploiter leur saison. Si regardèrent que, sur les marches d’Anjou, avoit un beau château et fort, qui se tenoit du ressort d’Anjou, lequel on appeloit la Roche sur Yon[1], et dirent tous et avisèrent qu’ils se trairoient celle part et y mettroient le siége, et le conquerroient si ils pouvoient. Si ordonnèrent leurs besognes en telle instance, et mirent au chemin, et se trairent tous de celle part. Encore leur revinrent depuis tous les barons et chevaliers de Poitou, monseigneur James d’Audelée, le sire de Pons, le sire de Partenay, messire Louis de Harecourt, messire Guichard d’Angle, le sire de Poyane, le sire de Tonnai-Bouton, messire Geffroy d’Argenton, monseigneur Maubrun de Linières et le sénéchal de la Rochelle, messire Thomas de Percy[2]. Si se trouvèrent ces seigneurs et ces gens d’armes grand’foison, quand ils furent revenus tous ensemble, plus de trois mille lances. Si exploitèrent tant qu’ils vinrent devant ledit châtel de la Roche sur Yon qui étoit beau et fort et de bonne garde, et bien pourvu de bonnes pourvéances et d’artillerie. Si en étoit capitaine, de par le duc d’Anjou, un chevalier qui s’appeloit messire Jean Blondeau, et qui tenoit dessous lui au dit château moult de bons compagnons aux frais et dépens du dit duc. Si ordonnèrent les dessus nommés seigneurs et barons qui là étoient leur siége par bonne manière et grand’ordonnance ; et l’environnèrent tout autour, car bien étoient gens à ce faire ; et firent amener et charrier de la ville de Thouars et de la cité de Poitiers grands engins, et les firent dresser devant la forteresse, et encore plusieurs canons et espringalles qu’ils avoient de pourvéance en leur ost et pourvus de longtemps et usagés de mener. Si étoit leur ost durement plantureux de tous vivres ; car il leur en venoit grand’foison du Poitou et des marches prochaines.

Quand messire Jean Blondeau se vit ainsi assiégé et appressé de tant de bonnes gens d’armes, car là étoient presque tous les barons et chevaliers d’Aquitaine, et ne lui apparoît nul confort de nul côté, si se commença à effrayer ; car bien véoit que les seigneurs qui là étoient ne le lairoient jusques à temps qu’ils l’auroient pris par force ou autrement. En l’ost du comte de Cantebruge et de monseigneur Jean Chandos et des barons qui là étoient, avoit aucuns chevaliers des marches de Poitou qui bien connoissoient le dit capitaine, et qui l’avoient accompagné du temps passé ; et vinrent iceux jusques aux bar-

    Otterbourne, et Walsingham ; mais les Chroniques de France supposent qu’il était arrivé à Calais au plus tard vers le milieu du mois d’août.

  1. La Roche-sur-Yon est en Poitou, à une trop grande distance de l’Anjou pour que Froissart ait pu dire avec exactitude qu’il est situé sur la frontière de cette province.
  2. La qualité de sénéchal de La Rochelle, que Froissart paraît donner ici à Thomas de Percy, donne lieu à conjecturer qu’il s’est trompé plus haut, en faisant deux personnages différens de ce chevalier et du sénéchal de La Rochelle.