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LIVRE I. — PARTIE II.

tre[1] devers la cité d’Agen, qui se tourna aussi et rendit Françoise ; et puis vinrent devant Thonneins sur Garonne, et chevauchèrent les François à leur aise, poursuivant la rivière pour trouver plus gras pays, et vinrent au port Sainte-Marie, qui se tourna tantôt Françoise : et partout mettoient les François gens d’armes et faisoient garnisons. Et prirent la ville de Thonneins, et tantôt se rendit et retourna le châtel : si y établirent un chevalier et vingt lances pour le garder. En après ils prirent le chemin de Montpellier[2] et d’Aiguillon, ardant et exillant tout le pays. Quand ils furent venus à Montpellier, qui étoit bonne ville et fort châtel, ils furent si effrayés du duc d’Anjou, qu’ils se rendirent au roi de France. Et puis vinrent devant le fort châtel d’Aiguillon : là furent-ils quatre jours. Pour le temps de lors il n’y avoit mie dedans la ville et châtel d’Aiguillon si vaillans gens que quand messire Gautier de Mauny et ses compagnons l’eurent en garde ; car ils se rendirent tantôt au duc d’Anjou : dont ceux de Bergerac furent moult émerveillés comment ils s’étoient sitôt rendus. À ce jour étoient capitaines de Bergerac le captal de Buch et messire Thomas de Felleton, à cent lances, Anglois et Gascons. Tout en telle manière comme le duc d’Anjou et ses gens étoient entrés en la terre du prince, au lez pardevers Agen et Toulousin, chevauchoient le duc de Berry et ses routes en Limousin, à bien douze cents lances et trois mille brigands, conquérant villes et châteaux, et ardant et exillant le pays. Avec le duc de Berry étoient le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, messire Guy de Blois, messire Robert d’Alençon, comte du Perche, messire Jean d’Armignac, messire Hugues Dauphin, messire Jean de Villemur, messire Hugues de la Roche, le sire de Beaujeu, le sire de Villars, le sire de Sérignac, messire Geffroy de Montagu, messire Loys de Maleval, messire Raymon de Mareuil, messire Jean de Boulogne, messire Godefroy son oncle, le vicomte d’Uzès, le sire de Sully, le sire de Chalençon, le sire de Cousant[3], le sire d’Apchier, le sire d’Apchon, messire Jean de Vienne, messire Hugues de Vianne, Ymbaut du Peschin, et plusieurs autres bons chevaliers, et écuyers.

Si entrèrent ces gens d’armes en Limousin, et y firent moult de desrois ; et s’en vinrent mettre le siége devant la cite de Limoges. Par dedans avoit aucuns Anglois en garnison, que messire Hue de Cavrelée, qui étoit sénéchal du pays, y avoit ordonnés et établis ; mais ils n’en étoient mie maîtres, ainçois la tenoit et gouvernoît l’évêque du dit lieu[4], auquel le prince de Galles avoit grand’fiance, pour tant qu’il étoit son compère.


CHAPITRE CCCXI.


Comment le prince fit un grand mandement à tous ses féaux pour aller contre les François ; et comment le captal de Buch et messire Thomas de Felleton gardèrent la ville de la Linde d’être prise.


Le prince de Galles, qui se tenoit en la ville d’Angoulême fut informé et certifié de ces deux grosses chevauchées du duc d’Anjou et du duc de Berry, et comment ils étoient entrés efforcément en sa terre et par deux lieux ; et fut encore ainsi dit au prince, à ce que on pouvoit voir et imaginer, ils tiroient à venir devant Angoulême et de lui laiens assiéger et de madame la princesse, et que sur ce il eût avis. Le prince, qui fut un moult vaillant homme et moult imaginatif, et conforté en toutes ses besognes, répondit que jà ses ennemis ne le trouveroient enfermé en ville ni en châtel, et qu’il vouloit issir aux champs contre eux. Si mit tantôt clercs et messages en œuvre d’écrire lettres et d’envoyer partout à ses féaux et ses sujets en Poitou, en Xaintonge, en la Rochelle, en Rouergue, en Quersin, eu Gaurre[5], en Bigorre, en Agénois, et leur mandoit expressément que chacun s’ap-

  1. Le duc d’Anjou resta quelques jours à Moissac : il y confirma les priviléges des habitans en considération de leur soumission volontaire, et y donna plusieurs lettres datées les unes du 28, les autres du 31 juillet.
  2. Montpellier était alors soumis au roi, et on a vu précédemment, chap. 307, que le duc d’Anjou y était le 2 juillet. D’ailleurs, Montpellier n’est point dans le pays que parcourait alors l’armée française : ainsi il ne peut être ici question de cette ville. Sauvage a fait la même remarque, et a cru devoir insérer dans le texte Montpensier au lieu de Montpellier ; mais sa correction ne me paraît pas heureuse : Montpensier est beaucoup trop éloigné de Tonneins et d’Aiguillon pour qu’on puisse l’admettre. Il est plus probable que Froissart veut parler de Montpesat ou de quelque autre place, soit de l’Agénois, soit du Bazadois, dont le nom commence par Mont.
  3. La seigneurie de Cousan appartenait à la maison de Damas.
  4. Cet évêque se nommait Jean de Cros.
  5. Canton dans la Gascogne, entre Auch et Lectoure, avec titre de comté.