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LIVRE I. — PARTIE II.

comme soudoyers, leurs gages prenans, duquel lez qu’ils vouloient, Anglois ou François : dont il avint que messire Robert et sa route en eut bien cent lances. Quand le dit messire Robert et toutes ses gens qui avec lui devoient aller et être furent appareillés et venus à Douvres, et ils furent passés à Calais, il même passa tout dernièrement et arriva au hâvre de Calais[1], et puis issit à terre, où il fut reçu à grand’joie du capitaine, monseigneur Nichole de Stambourne, et de tous les compagnons. Quand ils se furent là rafraîchis cinq jours, et ils eurent jeté leur avis quelle part ils iroient et quel chemin ils tiendroient, si ordonnèrent leur charroy et leurs pourvéances ; et issirent par un matin et se mirent sur les champs moult ordonnèrent. Si étoient environ quinze cents lances et quatre mille archers parmi les Gallois.

Avecques le dit messire Robert étoient issus d’Angleterre, par l’ordonnance du roi, messire Thomas de Grantson, messire Alain de Bouqueselle, messire Gilbert Guiffart, le sire de Fitvatier, messire Jean de Boursier, messire Guillaume de Nuefville, messire Geffroi Oursellé, et plusieurs autres, tous apperts chevaliers et vaillans hommes d’armes. Si vinrent ce premier jour assez près de Fiennes[2]. Messire Moreau de Fiennes, qui pour le temps étoit connétable de France, se tenoit en son châtel ; et grand’foison de bons compagnons avec lui, chevaliers et écuyers, qui furent tous pourvus et avisés des Anglois recueillir.

À lendemain, quand ils les vinrent voir, et ils se mirent en ordonnance pour assaillir, ils virent bien qu’il n’y avoit point d’avantage ; et passèrent outre la comté de Guines et entrèrent en la comté de Fauquembergue et l’ardirent toute, et vinrent devant la cité de Therouenne : mais point n’y assaillirent ; car elle étoit si bien pourvue de bonnes gens d’armes, qu’ils eussent perdu leur peine. Si prirent leur chemin tout parmi le pays de Therouénois pour entrer en Artois, Et ainsi qu’ils chevauchoient trois ou quatre lieues le jour, ni plus n’étoit-ce point, pour la cause de leur charroy et des gens de pied, ils se logeoient ès gros villages et de haute heure, à midi ou à nonne. Si vinrent ainsi, leur ost atraînant, tant qu’ils furent devant la cité d’Arras ; et se logèrent les seigneurs et les capitaines en l’abbaye du mont Saint-Éloy, assez près d’Arras, et leur gens là environ, qui couroient et pilloient tout le pays si loin qu’ils s’osoient étendre. Le roi de France avoit, celle saison, par toutes ses cités, châteaux forteresses et bonnes villes, à ponts et à passages, mis grand’foison de bonnes gens d’armes pour les garder et défendre s’ils étoient assaillis ; et ne vouloit que nul issit contre eux. Quand messire Robert Canolle et ses gens se départirent du mont Saint-Éloy et de là environ, et ils se furent refreschis et leurs chevaux deux jours, ils s’ordonnèrent et passèrent outre, au dehors de la cité d’Arras. Lors messire Guillaume de Nuefville et messire Geffroy Oursellé, qui étoient maréchaux de l’ost, ne se purent abstenir que ils n’allassent voir ceux d’Arras de plus près : si se départirent de leur grosse bataille, environ deux cents lances et quatre cents archers, et s’avalèrent ès faubourgs d’Arras, et vinrent jusques aux barrières, qu’ils trouvèrent bien pourvues de bons arbalêtriers et de gens d’armes. Adonc étoit dedans la ville d’Arras messire Charles de Poitiers de-lez madame d’Artois ; mais il n’en fit nul semblant d’issir hors, ni de combattre les Anglois. Quand les Anglois eurent fait leur course, et ils se furent un petit arrêtés devant les barrières, et ils virent que nul n’issoit contre eux, ils se mirent au retour devers leurs compagnons, qui les attendoient en une grosse bataille rangée et ordonnée sur les champs. Mais au partir, ils voulurent donner souvenance qu’ils avoient là été ; car ils boutèrent le feu ès faubourgs d’Arras, pour attraire hors ceux de la ville, qui nulle volonté n’en avoient : lequel feu fit grand dommage, car il ardit un grand monastère des Frères-Prêcheurs, cloître et tout, qui étoit au dehors de la ville.

Après celle empeinte, les Anglois passèrent outre et prirent le chemin de Bapaumes, ardant et exillant tout le pays. Si firent tant par leurs

    cette trêve. Elle avait été conclue l’année précédente, et devait durer non pas neuf ans, mais quatorze, comme je l’ai remarqué dans une note sur le chapitre 266, d’après les chartes mêmes de cette trêve, que Rymer a publiées.

  1. Des lettres d’Édouard, pour faire préparer les vaisseaux nécessaires au passage de Robert Knowles et de son armée, prouvent que ce général était encore en Angleterre le 6 juillet. Il paraît qu’il arriva à Calais peu de temps après ; car on lit dans les Chroniques de France, qu’il partit de cette ville à la fin du même mois pour venir faire le dégât sur les terres du roi de France.
  2. Bourg du Boulonnais.