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LIVRE I. — PARTIE II.


CHAPITRE CCCXIV.


Comment ceux de Noyon prirent les Anglois qui avoient ars la ville du Pont l’Évêque ; et comment le roi Charles manda à messire Bertran qu’il vint à Paris.


Messire Robert Canolle, à son département qu’il fit de la marche de Noyon, ses gens ardirent la ville du Pont l’Évêque sur la rivière d’Oise[1], où il avoit grand’foison de bons hôtels. Les chevaliers et écuyers qui étoient en la cité de Noyon eurent grand’déplaisance de ce feu, et entendirent que messire Robert et sa route étoient partis et retraits. Si vinrent de la cité de Noyon environ soixante lances ; et vinrent encore si à point en la ville du Pont l’Évêque, qu’ils trouvèrent ceux qui le feu y avoient bouté, et des autres aussi pour entendre au pillage. Si furent réveillés de grand’manière ; car la plus grand’partie furent morts et occis, et demeurèrent sur la place ; et y gagnèrent les François plus de quarante chevaux, et rescouirent plusieurs prisonniers qu’ils en vouloient mener, et encore de beaux hôtels qui eussent été tous ars si ils ne fussent venus à point ; et ramenèrent à Noyon plus de quinze prisonniers anglois auxquels on coupa les têtes.

Or chevauchèrent les Anglois en leur ordonnance, et montèrent amont pour venir en Laonnois, et pour passer à leur aise la rivière d’Oise, et aussi celle d’Aisne. Si ne forfirent rien en la terre et comté de Soissons, pourtant qu’elle étoit au seigneur de Coucy. Bien est vérité qu’ils étoient poursuivis et côtoyés d’aucuns seigneurs et chevaliers de France, tels que du comte Guy de Saint-Pol, du vicomte de Meaux, du seigneur de Chauny, de monseigneur Raoul de Coucy, de monseigneur Guillaume de Melun, fils au comte de Tancarville, et de leurs gens, par quoi les Anglois ne s’osoient point dérouter, mais se tenoient ensemble. Et aussi les François ne se féroient point entr’eux, mais se logeoient tous les soirs ès forts et dedans les bonnes villes ; et les Anglois sur le plat pays, où ils trouvoient assez à vivre de ces nouveaux vins, dont ils faisoient grand’largesse,

Et chevauchèrent ainsi tout ardant et exillant et rançonnant le pays, tant qu’ils passèrent la rivière de Marne et entrèrent en Champagne ; et puis la rivière d’Aube, puis retournèrent en la marche de Provins. Et passèrent et repassèrent par plusieurs fois la rivière de Saine ; et tiroient à venir devant la cité de Paris ; car on leur avoit dit que le roi de France avoit là fait un grand mandement de gens d’armes, desquels le comte de Saint-Pol et le sire de Cliçon devoient être chefs et gouverneurs. Si les désiroient les Anglois durement fort à combattre, et par semblant ils montroient qu’ils ne vouloient autre chose que la bataille ; et pour ce le roi de France escripsit à monseigneur Bertran du Guesclin, qui étoit avec le duc d’Anjou en Aquitaine, que, ses lettres vues, il se retraist en France ; car il le vouloit embesogner autre part.

En ce temps revint en la cité d’Avignon le pape Urbain Ve, qui avoit demeuré à Rome et là environ quatre ans[2], et revint en espérance comment paix se pourroit faire entre les deux rois ; car la guerre étoit renouvelée, qui trop lui déplaisoit. De la revenue du pape et de tous les cardinaux furent la cité d’Avignon et la marche d’environ moult réjouis ; car ils en pensoient à mieux valoir.


CHAPITRE CCCXV.


Comment le duc de Lancastre arriva à Bordeaux ; et comment le duc d’Anjou dérompit sa chevauchée


Or parlerons du prince de Galles comment il persévéra. Vous avez ci-dessus ouï recorder comment le prince de Galles avoit fait son commandement à Congnach, sur l’intention d’aller et de chevaucher contre le duc d’Anjou qui lui ardoit et gâtoit son pays. Si s’avancèrent de venir à son mandement, au plus tôt qu’ils purent, les barons, chevaliers et écuyers de Poitou, de Xaintonge, de la terre qui se tenoit du prince ; et se partit le comte de Pennebroch de sa garnison atout cent lances, et s’en vint devers le prince.

En ce temps arriva au hâvre de Bordeaux le duc Jean de Lancastre et son armée, dont ceux du pays furent moult réjouis, pour tant qu’ils le sentoient bon chevalier et grand capitaine de gens d’armes. Le duc de Lancastre et ses gens

  1. Ce bourg ou village est situé à une petite distance de Noyon.
  2. Urbain V était parti d’Avignon pour Rome le dernier avril 1367 ; il était de retour à Marseille le 16 septembre 1370 et à Avignon le 24 du même mois.