Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.



LES CHRONIQUES

DE

SIRE JEAN FROISSART.


Je sçavois bien que, encore au temps avenir et quand je serai mort, sera cette noble et haute histoire en grand cours, et y prendront tous nobles hommes plaisance et exemple de bien faire.
(Froissart, liv. iii, chap. i.)


PROLOGUE.


Ci commencent les Chroniques que fit messire Jean Froissart, qui parlent des nouvelles guerres de France et d’Angleterre, de Bretagne, d’Escosse et d’Espagne, lesquelles sont divisées en quatre parties.


Afin que honorables emprises et nobles aventures et faits d’armes, lesquelles sont avenues par les guerres de France et d’Angleterre, soient notablement régistrées et mises en mémoire perpétuelle, par quoi les preux aient exemple d’eux encourager en bien faisant, je veux traiter et recorder histoire et matière de grand’louange.

Mais ains que je la commence, je requiers au Sauveur de tout le monde, qui de néant créa toutes choses, qu’il veuille créer et mettre en moi sens et entendement si vertueux que, ce livre que j’ai commencé, je le puisse continuer et persévérer en telle manière que toux ceux et celles qui le liront, verront et orront y puissent prendre ébatement et plaisance, et je encheoir en leur grâce.

On dit, et voir est, que tout édifice est ouvré et maçonné l’une pierre après l’autre, et toutes grosses rivières sont faites et rassemblées de plusieurs ruisseaux et fontaines : aussi les sciences sont extraites et compilées de plusieurs clercs, et ce que l’un sait, l’autre ne sait mie ; non pour quant rien n’est qui ne soit sçu ou loin ou près. Donc ainsi, pour atteindre et venir à la matière que j’ai emprise de commencer, premièrement par la grâce de Dieu et de la bénoite Vierge Marie dont tout confort et avancement viennent, je me veux fonder et ordonner sur les vraies chroniques jadis faites et rassemblées par vénérable homme et discret seigneur monseigneur Jean le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liége, qui grand’cure et toute bonne diligence mit en cette matière, et la continua tout son vivant au plus justement qu’il pût, et moult lui coûta à acquerre et à l’avoir. Mais, quelques frais qu’il y eut ni fit, rien ne les plaignit ; car il étoit riche et puissant, si les pouvoit bien porter ; et de soi même étoit large, honorable et courtois, et qui volontiers voyoit le sien dépendre. Aussi, il fut en son vivant moult ami et secret à très noble et douté seigneur monseigneur Jean de Hainaut[1] qui bien est ramentu, et de raison, en ce livre ; car de plusieurs et belles avenues il en fut chef et cause, et des rois moult prochain ; par quoi le dessus dit messire Jean le Bel put de-lez lui voir et connoître plusieurs besognes lesquelles sont contenues en suivant.

Voir est que je, qui ai empris ce livre à ordonner, ai, par plaisance qui toudis m’a à ce incliné, fréquenté plusieurs nobles et grands seigneurs, tant en France comme en Angleterre,

  1. Jean était frère cadet de Guillaume Ier, dit le Bon, comte de Hainaut, et avait eu en partage les seigneuries de Beaumont, de Valenciennes et de Condé. Il mourut le 11 mars 1356.