Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
636
[1372]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

avoient prié et requis au roi d’Angleterre, par lettres et par la bouche de monseigneur Guichart d’Angle, que si il étoit si conseillé que nul de ses enfans ne fit en cette saison ce voyage, il leur envoyât le comte de Pennebroch, que moult aimoient et désiroient à avoir : car ils le sentoient bon chevalier et hardi durement. Si dit le roi d’Angleterre au comte de Pennebroch, présens plusieurs barons et chevaliers qui là étoient assemblés au conseil : « Jean, beau fils, je vous ordonne et institue que vous alliez en Poitou, en la compagnie de monseigneur Guichart ; et là serez gouverneur et souverain de toutes les gens d’armes que vous y trouverez, dont il y a grand’foison, si comme de ce je suis informé et de ceux aussi que vous y mènerez. »

Le comfe de Pennebroch s’agenouilla devant ic roi et dit : « Monseigneur, grands mercis de la haute honneur que me faites ; je serais volontiers ès parties delà un de vos petits maréchaux. » Ainsi sur cel état se départit cil parlement, et retourna le dit roi à Windesore, et emmena messire Guichart avec lui, auquel il parloit souvent des besognes de Poitou et de Guyenne. Messire Guichart lui disoit : « Monseigneur, mais que notre capitaine et meneur le Comte de Pennebroch soit arrivé pardelà, nous ferons bonne guerre ; car nous y trouverons entour quatre ou cinq mille lances qui tous obéiront à vous, mais qu’ils soient payés de leurs gages. » Lors répondit le roi : « Messire Guichart, messire Guichart, ne vous souciez point d’avoir or et argent pour faire pardelà bonne guerre ; car j’en ai assez ; et si l’emploierai volontiers en telle marchandise, puisqu’il me touche, et les besognes de mon royaume. »


CHAPITRE CCCXLII.


Comment le comte de Pennebroch se partit d’Angleterre pour venir en Poitou ; et comment les Espaignols au hâvre de la Rochelle durement le combattirent.


Ainsi et de plusieurs autres paroles s’ébattoit souvent en parlant le roi d’Angleterre au dit monseigneur Guichart, que moult aimoit et créoit ; c’étoit bien raison. Or fut le comte de Pennebroch tout appareillé, et la saison vint et ordonnance qu’il dût partir : si prit congé au roi qui lui donna liement et à tous ceux qui en sa compagnie devoient aller ; et me semble que messire Othe de Grantson d’outre la Saône y fut ordonné et institué d’y aller[1]. Le comte de Pennebroch n’eut mie adonc trop grands gens en sa compagnie, fors ses chevaliers tant seulement, sur l’information que monseigneur Guichart avoit faite au roi ; mais il emportoit en nobles et en florins telle somme de monnoie que pour payer trois mille combattans un an.

Si exploitèrent tant les dessus dits, après le congé, pris du roi, qu’ils vinrent à Hantonne. Là séjournèrent-ils quinze jours, en attendant vent, qui leur étoit contraire. Au seizième, ils eurent vent à volonté. Si entrèrent en leurs vaisseaux et se partirent du Hâvre, et se commandèrent en la garde de Dieu et de Saint George, et puis cinglèrent devers Poitou.

Le roi Charles de France, qui savoit la greigneur partie des consaulx d’Angleterre, mie ne sçais comment ni par qui ils étoient révélés, et comment monseigneur Guichart d’Angle et ses compagnons étoient allés en Angleterre et sur quel état, pour impétrer au roi qu’ils eussent un bon meneur et capitaine, et jà savoit que le comte de Pennebroch y étoit ordonné de venir et toute sa charge ; si étoit le dit roi de France avisé sur ce et avoit secrètement mis sus une armée de gens d’armes par mer, voire à sa prière et requête ; car ces gens étoient au roi Henry de Castille, lesquels il lui avoit envoyés, parmi les alliances et confédérations que ils avoient ensemble. Et étoient ces Espaignols d’une flotte quarante grosses nefs et treize barges bien pourvues et breteschées, ainsi que nefs d’Espaigne sont. Si en étoient patrons et souverains quatre vaillans hommes, Ambroise de Bouquenegre[2], Cabesse de Vake[3], Dan Ferrant de Pion[4] et Radigo-le-Roux[5].

  1. Il s’agit sans doute d’un individu de la maison de Granson, très illustre dans la Franche-Comté.
  2. Ambrosio Bocanegra était amiral de Castille.
  3. C’est un nom espagnol à moitié francisé. Le véritable nom est Cabeza de Vaca. Je ne trouve aucun amiral de ce nom, ni dans Fernam Lopez, ni dans Ayala ; mais cette famille était fort connue en Espagne, et Ayala mentionne à cette époque D. Juan Fernandez Cabeza de Vaca, doyen de l’église de Tolède et un des prétendans à l’archevéché de cette ville.
  4. Je ne vois pas non plus quel est ce Ferrant de Pion. Je trouve seulement, en 1374 un D. Ferrand Sanchez de Tovar, amiral de Castille, envoyé par D. Henry, avec l’amiral François Jean de Vienne, contre l’île de Wight. Peut-être est-ce Hernando de Léon.
  5. Celui que Froissart nomme Radigo-le-Roux, et qui