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LIVRE PREMIER.
PARTIE PREMIÈRE.

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CHAPITRE PREMIER.


Ci s’ensuivent les noms des preux de cette histoire.


Pour tous nobles cœurs encourager et eux montrer exemple en matière d’honneur, je, Jean Froissart, commence à parler, après la relation de monseigneur Jean le Bel, jadis chanoine de Saint-Lambert de Liége, et dis ainsi : que plusieurs gens nobles et in-nobles ont parlé par maintes fois des guerres de France et d’Angleterre qui pas justement n’en savoient ou sauroient à dire, si requis et examinés en étoient, comment, ni pourquoi, ni par quelle raison elles vinrent ; mais en voici la droite vraie fondation de la matière. Et pour ce que je n’y veux mettre ni ôter, oublier ni corrompre, ni abréger histoire en rien par défaut de langage, mais la veux multiplier et accroître ce que je pourrai, vous veux de point en point parler et montrer toutes les aventures, depuis la nativité du noble roi Édouard d’Angleterre[1] qui si puissamment a régné. Et tant y sont avenues d’aventures notables et périlleuses, et tant de batailles adressées, et d’autres faits d’armes et de grands prouesses, puis l’an de grâce mcccxxvi que le gentil roi fut couronné en Angleterre[2], que il, et tous ceux qui ont été avec lui en ces batailles et heureuses aventures, ou avec ses gens là où il n’a mie été en propre personne, si comme vous pourrez ouïr ci-après, doivent bien être tenus et réputés pour preux, combien qu’il y en ait grand’foison d’iceux qui doivent et peuvent bien être tenus pour souverains preux entre les autres et devant tous autres, si comme le propre corps du gentil roi dessus dit, le prince de Galles son fils[3], le duc de Lancastre[4], messire Regnault de Cobham, messire Gautier de Mauny en Hainaut, messire Jean Chandos, messire Franke de Halle, et plusieurs autres qui se ramentevront, pour le bien et la prouesse d’eux, dedans ce livre : car par toutes les batailles où ils ont été, ils ont eu renommée des mieux faisans par terre et par mer, et s’y sont montrés si vaillamment qu’on les doit bien tenir pour souverains preux. Mais pour ce n’en doivent mie les autres, qui avec eux ont été, pis valoir.

Aussi en France, a été trouvée bonne chevalerie, roide, forte, apperte et grand’foison ; car le royaume de France ne fut oncques si déconfit qu’on n’y trouvât bien toujours à qui combattre ; et fut le noble roi Philippe de Valois[5] très hardi et bachelereux chevalier, et le roi Jean son fils[6], Charles roi de Behaigne[7], le comte d’Alençon[8], le comte de Foix[9], messire Jean de Saintré[10], messire Arnoul d’Audrehen[11], messire Boucicaut[12], messire Guichart d’Angles, monseigneur de Beaujeu le père et le fils[13], et plusieurs autres que je ne puis mie maintenant tous nommer et qui bien seront en temps et lieu ramentus ; car, pour vérité dire et soutenir, on doit bien tenir pour assez preux tous ceux qui en si crueuses batailles et si périlleuses ont été vus et sont demeurés jusques à la déconfiture, suffisamment faisant leur devoir.

  1. Édouard III naquit le 15 novembre 1313. Il était de la famille des Plantagenet d’Anjou.
  2. C’est-à-dire 1327, en commençant l’année en janvier et non à Pâques.
  3. Surnommé le Prince noir.
  4. Jean de Gand, comte de Richmont, duc de Lancastre, troisième fils du Prince noir, tige du rameau de Lancastre si fameux dans l’histoire d’Angleterre sous le nom de Rose rouge. Son fils, Henri IV, obtint la couronne aux dépens de Richard II, fils du Prince noir.
  5. Philippe VI.
  6. Jean dit le Bon, qui mourut prisonnier en Angleterre.
  7. On appelait ainsi autrefois la Bohême. Le prince dont il s’agit se nommait Jean et non Charles. C’est le fameux comte Jean de Luxembourg, roi de Bohême, tué à la bataille de Crécy.
  8. Charles, comte d’Alençon, frère du roi Philippe de Valois.
  9. On ignore si Froissart veut parler de Gaston II, ou de son fils Gaston Phœbus, si célèbre par sa magnificence, qui vivaient tous les deux à cette époque.
  10. Sénéchal d’Anjou et du Maine, et lieutenant du sire de Craon eous lequel il commandait trente hommes d’armes.
  11. Maréchal de France.
  12. Jean le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France.
  13. Édouard, sire de Beaujeu et de Dombes, maréchal de France, et Guichard, son fils, issus des comtes de Forez.