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LIVRE I. — PARTIE II.

besogne, et entrent en ces logis, les épées toutes nues, et commencent à écrier leurs cris et à occire et à découper gens d’armes et ruer par terre, et fiancer et prendre prisonniers, et délivrer ceux qui pris étoient. Que vous ferois-je long conte ? Là fut pris le captal de Buch d’un écuyer de Picardie qui s’appeloit Pierre d’Anviller, appert homme d’armes durement, dessous le pennon à Yvain. Là furent tellement épars et rués par terre les Anglois que ils ne se pouvoient ravoir ni deffendre. Et furent tous les prisonniers françois rescous, le sire de Pons premièrement, qui en fut très heureux et auquel l’aventure fut plus belle que à nul des autres, car si les Anglois l’eussent tenu, jamais n’eût vu sa délivrance. Là furent pris messire Henri Wist et plusieurs autres chevaliers et écuyers, et aussi le sénéchal de Poitou messire Thomas de Persy ; et le prit un prêtre dudit Yvain, messire David Honnel. Là furent presque tous morts et tous pris ; et se sauvèrent à grand meschef messire Gautier Huet, messire Guille de Fernitonne et messire Petiton de Courton et Jean Cresuelle qui affuirent vers la forteresse par une étrange voye, ainsi que un varlet les mena qui savoit le convine de laiens, les entrées et les issues. Si furent recueillis de la dame de Soubise par une fausse poterne, et leur jeta-t-on une planche par où ils entrèrent en la forteresse. Si recordèrent à la dite dame de Soubise leur avenue et comment il leur étoit mesaivenu par povre soin. De ces nouvelles fut la dame toute déconfortée, et vit bien que rendre le conviendroit et venir en l’obéissance du roi de France.

Cette nuit fut tantôt passée, car c’étoit en temps d’été, au mois d’août ; mais pour ce qu’il faisoit noir et brun, car la lune étoit en decours, si se tinrent les François et cils de leur côté tout lies et grandement reconfortés ; et bien y avoit cause ; car il leur étoit advenu une très belle aventure, que pris avoient le captal de Buch, le plus renommé chevalier de toute Gascogne et que les François doutoient le plus pour ses hautaines emprises. De cette avenue et achèvement eut Yvain de Galles grands grâces. Quand ce vint à lendemain dont la besogne avoit été par nuit, le dit Yvain, et cils que pris avoient prisonniers, les firent mener, pour tous périls eschiver, en leur navie devant la Rochelle, car envis les eussent perdus, et puis s’en vinrent rangés et ordonnés devant le châtel de Soubise, et mandèrent en leur navie grand’foison de Gennevois et d’arbalêtriers : si firent grand semblant d’assaillir la forteresse en bon arroy. La dame de Soubise qui véoit tout son confort mort et pris, dont moult lui anoyoit, demanda conseil aux chevaliers qui là dedans étoient retraits à sauveté, monseigneur Gautier Huet, monseigneur Gautier de Fernitonne et monseigneur Petiton de Courton. Les chevaliers répondirent : « Dame, nous savons bien que à la longue ne vous pouvez tenir ; et nous sommes céans enclos ; si n’en pouvons partir fors par le danger des François. Nous traiterons devers eux que nous partirons sauvement sur le conduit du seigneur de Pons, et vous demeurerez en l’obéissance du roi de France. « La dame répondit : « Dieu y ait part ! puisque il ne peut être autrement. » Adonc les trois chevaliers dessus nommés envoyèrent un héraut des leurs hors du châtel parler à Yvain de Galles et au seigneur de Pons, qui étoient tout appareillés, et leurs gens, pour assaillir. Les dessus dits entendirent à ces traités volontiers ; et eurent grâce de partir tous les Anglois qui dedans étoient, et de retraire par sauf-conduit là où mieux leur plaisoit, fût en Poitou ou en Xaintonge. Si se partirent sans plus attendre ; et la dame de Soubise, ses châteaux et toute sa terre, demeura en l’obéissance du roi de France ; et le dit Yvain de Galles se retraist en sa navie devant la Rochelle qu’il tenoit pour assiégée, quoique composition fût entre lui et ceux de la ville, que point ne devoient gréver l’un l’autre. Et tint toudis monseigneur le captal de-lez lui, ni point n’avoit volonté d’envoyer en France devers le roi jusques à tant qu’il orroit autres nouvelles.


CHAPITRE CCCLIV.


De plusieurs villes et forteresses qui se tournèrent Françoises.


Vous devez savoir que si le roi d’Anglererre et les Anglois furent courroucés de la prise le captal de Buch, le roi de France et les François en furent moult réjouis, et en tinrent leur guerre à plus belle, et à plus foible la puissance des Anglois. Tantôt après cette avenue le sire de Pons, le sire de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Laval, le sire de Beaumanoir, Thibaut du Pont, Aliot de Calais et une grand’route de Bretons et de Poitevins d’une