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LIVRE I. — PARTIE II.

une chambre pour avoir avis et conseil sur leurs besognes : « Seigneurs, seigneurs, vous savez que nous avons tenu notre loiauté devers le roi d’Angleterre tant que nous avons pu, et que par droit il doit nous en savoir gré ; car, en son service et pour son héritage aider à garder et deffendre, nous avons employé et aventuré notre corps sans nulle feintise, et mis notre chevance. Au parderrain nous sommes ci enclos et n’en pouvons partir ni issir hors fors par danger ; et sur ce j’ai moult imaginé et étudié comment nous ferons et comment de ci à notre honneur nous istrons ; car partir nous en faut ; et si vous le voulez ouir je le vous dirai, sauf tous jours le meilleur conseil. » Les chevaliers qui là étoient répondirent : « Oil, sire, nous le voulons ouir. » Lors dit messire Percevaux : « Il ne peut être que le roi d’Angleterre, pour qui nous sommes en ce parti, ne soit informé en quel danger cils François nous tiennent, et comment tous les jours son héritage se perd ; si il le veut laisser perdre, nous ne le pouvons sauver ni garder, car nous ne sommes mie si forts de nous-mêmes que pour résister ni estriver contre la puissance du roi de France ; car encore nous véons en ce pays que cités, villes, châteaux et forteresses avec prélats, barons, chevaliers, dames et communautés se tournent tous les jours François et nous font guerre, laquelle chose nous ne pouvons longuement souffrir ni soutenir ; pourquoi je conseille que nous entrons en traités devers ces seigneurs de France qui ci nous ont assiégés, et prenons unes trêves à durer deux mois ou trois. En celle trêve durant et au plutôt que nous pouvons, signifions tout pleinement notre état à notre seigneur le roi d’Angleterre, et le danger où nous sommes, et comment son pays se perd, et impétrons celle trêve devers ces seigneurs de France : que si le roi d’Angleterre, ou l’un de ses enfans pouvoient venir, ou tous ensemble, si forts devant cette ville, dedans un terme exprès que nous y assignerons par l’accord et ordonnance de nous et d’eux, que pour combattre eux et leur puissance et lever le siége, nous demeurons Anglois à tous jours mais ; et si le contraire est, nous serons François de ce jour en avant. Or respondez s’il vous semble que je aie bien parlé. » Ils répondirent tous d’une voix : « Oil, c’est la plus prochaine voie par laquelle nous en pouvons voirement à notre honneur et pour garder notre loiauté issir. »

À ce conseil et propos n’y eut plus rien répliqué ; mais fut tenu et affermé ; et en usèrent en avant par l’avis et conseil du dessus dit messire Percevaux, et entrèrent en traité devers le duc de Berry et le connétable de France. Cils traités entre eux durèrent plus de seize jours ; car les dessus dits seigneurs, qui devant Thouars se tenoient, n’en vouloient rien faire sans le sçu du roi de France. Tant fut allé de l’un à l’autre et parlementé, que cils de Thouars et cils de Poitou qui dedans étoient, et aussi cils qui devant séoient, demeurèrent en segur état parmi unes trêves qui furent là prises, durant jusques à la Saint-Michel prochain venant ; et si dedans ce jour, le roi d’Angleterre ou l’un de ses enfans, ou tous ensemble pouvoient venir si forts en Poitou, que pour tenir la place devant Thouars contre les François, ils demeuroient eux et leurs terres Anglois à toujours ; et si c’étoit que le roi d’Angleterre ou l’un de ses fils ne tenoient la journée, tous cils barons et chevaliers poitevins qui dedans Thouars étoient demeureroient François, et mettroient eux et leurs terres en l’obéissance du roi de France.

Cette cose sembla grandement raisonnable à tous ceulx qui en ouïrent parler. Nequedent, quoique les trêves durassent et qu’ils fussent en segur état dedans Thouars, et aussi au siége des dits seigneurs de France, pour ce ne se deffit mie le siége, mais tous les jours que Dieu amenoit se renforçoit ; car, par bonne délibération et conseil, tous les jours y envoyoit le roi de France gens, tous à élection des meilleurs de son royaume, pour aider à garder sa journée contre le roi d’Angleterre, ainsi que ordonné étoit et que devise portoit.

Au plus tôt que les barons et les chevaliers qui dedans Thouars assiégés étoient purent, ils envoyèrent en Angleterre certains messages et lettres moult douces et moult sentans sur l’état du pays et du danger où ils étoient, et que pour Dieu et par pitié il y voulsist pourvoir de remède, car à lui en touchoit plus que à tout le monde. Quand le roi ouït ces nouvelles, et comment ses chevaliers de Poitou lui signifioient, si dit que, s’il plaisoit à Dieu, il iroit personnellement et seroit à la journée devant Thouars, et y meneroit tous ses enfans. Proprement le