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LIVRE I. — PARTIE II.

à Bordeaux, et partis de là, le dit sénéchal en leur compagnie, et aussi le sénéchal des Landes ; et avoient tant chevauché que ils étoient entrés en Poitou et venus à Niort, et là trouvèrent-ils les chevaliers anglois, monseigneur d’Angouse, messire Jean d’Éverues, monseigneur Richart de Ponchardon, monseigneur Hue de Cavrelée, monseigneur Robert Mitton, monseigneur Martin l’Escot, monseigneur Baudoin de Frainville, monseigneur Thomas Banastre, monseigneur Jean Trivet, Jean Cresuelle, David Holegrave et les autres qui tous s’étoient là recueillis, et aussi messire Aymery de Rochechouart, monseigneur Joffroi d’Argenton, monseigneur Maubrun de Linières et monseigneur Guillaume de Montendre, qui s’étoient partis de Thouars et du traité des autres seigneurs de Poitou et retraits à Niort avec les Anglois.

Quand ils se trouvèrent tous ensemble, si furent plus de douze cents lances. Sitôt que ils virent que la journée étoit expirée et que du roi d’Angleterre on n’avoit nulles nouvelles.

Vous devez savoir que, pour tenir sa journée à l’ordonnance du connétable dessus dite, le roi de France avoit envoyé là toute la fleur de son royaume, car il avoit entendu que le roi d’Angleterre et ses enfans y seroient au plus fort que ils pourroient. Si vouloit aussi que ses gens y fussent si forts que pour tenir honorablement leur journée : pourquoi avec le dit connétable étoient ses frères le duc de Berry et le duc de Bourgogne, moult étoffément de chevaliers et d’écuiers, et aussi le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, messire Robert d’Alençon son frère, le Dauphin d’Auvergne, le comte de Boulogne, le sire de Sully, le sire de Craon et tant de hauts seigneurs que un detri seroit au nommer : car là étoit la fleur de gens d’armes de toute Bretagne, de Normandie, de Bourgogne, d’Auvergne, de Berry, de Touraine, de Blois, d’Anjou, de Limousin et du Maine, et encore grand foison d’étraigniers, d’Allemans, de Thiois, de Flamans et de Hainuyers ; et étoient bien quinze mille hommes d’armes et trente mille d’autres gens. Nonobstant leur force et leur puissance, ils furent moult réjouis quand ils sçurent et virent que le jour Saint-Michel étoit passé et expiré, et le roi d’Angleterre, ni aucuns de ses enfans ne étoient point comparus pour lever le siége. Si signifièrent aussi tantôt ces nouvelles au roi de France qui en fut moult réjoui, quand, sans péril de bataille, mais par sages traités, il convenoit que cils de Poitou et leurs terres fussent en son obéissance.

Les Gascons et les Anglois qui étoient à Niort, et là venus et amassés, et se trouvoient bien douze cents lances de bonnes gens, et savoient tous les traités des barons et chevaliers de Poitou qui en Thouars se tenoient, car notifié espécialement leur étoit, virent que le jour étoit passé qu’ils se devoient rendre, si ils n’étoient confortés, et que le roi d’Angleterre ni aucuns de ses enfans n’étoient encore point traits avant, dont on eût eu nouvelles, dont ils étoient moult courroucés. Si eurent conseil entr’eux comment ils pourroient persévérer et trouver voie d’honneur que cils Poitevins, qui obligés s’étoient envers les François, demeurassent toudis de leur parti ; car moult les aimoient dalès eux. Si eurent sur ces besognes, en la ville de Niort, grands consaux ensemble : finablement, eux conseillés et avisés, ils signifièrent par lettres scellées, envoyées par un héraut, leur entente aux Poitevins qui en Thouars se tenoient. Si devisoient et disoient ces lettres, avec saluts et amitiés, que : comme ainsi fût que, à leur avis, pour le meilleur ils s’étoient composés envers les François, par foi et par serment, d’eux mettre en l’obéissance du roi de France et de devenir bons François, si dedans le jour de la Saint-Michel ils n’étoient confortés du roi d’Angleterre leur cher seigneur, ou d’aucuns de ses enfans personnellement, or véoient que la deffaute y étoit, si supposoient que c’étoit par fortune de mer et non autrement : toutes fois il étoient là traits et venus à Niort à quatre lieues près d’eux, et se trouvoient bien douze cents lances ou plus de bonnes gens d’étoffe ; si offroient que, s’ils vouloient issir de Thouars et prendre journée de bataille pour combattre les François, ils aventureroient leurs corps, avec l’héritage de leur seigneur le roi d’Angleterre.

Ces lettres furent entre les Poitevins volontiers ouïes et vues ; et en sçurent les plusieurs grand gré aux Gascons et aux Anglois qui ainsi leur signifioient ; et se conseillèrent sur cettes grandement et longuement ; mais eux conseillés, tout considéré, et bien imaginé leur affaire et les traités lesquels ils avoient promis à tenir aux François, ils ne pouvoient voir, ni trouver par nulle voie de droit, que ils fissent autre