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LIVRE I. — PARTIE II.

noir, messire Ernoul Limosin, messire Joffroi Ricon, messire Yvain Laconnet, messire Joffroy de Quaremiel, Thibaut du Pont, Allain de Saint-Pol, Aliot de Calais et plusieurs autres bons hommes d’armes. Quand ils furent tous venus devant Chisech, ils environnèrent la ville selon leur quantité et firent bons palis derrière eux, par quoi soudainement, de nuit ou de jour, on ne leur pût porter contraire ni dommage ; et se tinrent là dedans pour tout assegurés et confortés et que jamais n’en partiroient sans avoir la forteresse ; et y firent et livrèrent plusieurs assauts.

Les compagnons qui dedans étoient se défendirent vassalement et tant que à ce commencement riens n’y perdirent. Toutes fois, pour y être confortés et lever ce siége, car ils sentoient bien que à la longue ils ne se pourroient tenir, si eurent conseil du signifier à monseigneur Jean d’Éverues et aux compagnons qui se tenoient à Niort. Si firent de nuit partir un de leurs varlets qui apporta unes lettres à Niort, et fut tantôt accouru, car il n’y a que quatre lieues. Messire Jean d’Éverues et les compagnons lisirent cette lettre, et virent comment messire Robert Miton et messire Martin l’Escot leur prioient que ils leur voulsissent aider à dessiéger de ces François, et leur signifioient l’état et l’ordonnance si avant que ils les savoient ; dont ils se déçurent, et leurs gens aussi, car ils acertifioient par leurs lettres et par la parole du message, que messire Bertran n’avoit devant Chisech non plus de cinq cents combattans.

Quand messire Jean d’Éverues, messire d’Angousse et Cresuelle sçurent ces nouvelles, si affirmèrent qu’ils iroient celle part lever le siége et conforter leur compagnons, car moult y étoient tenus. Si mandèrent tantôt ceux de la garnison de Luzignan et de Gensay qui leur étoient moult prochains. Cils vinrent, chacun à ce qu’il avoit de gens, leur garnison gardée ; et s’assemblèrent à Niort. Là étoient avec les dessus dits, messire Aymery de Rochechouart et messire Joffroi d’Argenton, David Hollegrave et Richard Holmes. Si se départirent de Niort tout appareillés et bien montés, et furent comptés, à l’issir hors de la porte, sept cents et trois têtes armées, et bien trois cents pillards Bretons et Poitevins. Si s’en allèrent tout le pas sans eux forhâter par devers Chisech, et tant exploitèrent que ils vinrent assez près et se mirent au dehors d’un petit bois.


CHAPITRE CCCLXI.


Ci parle de la bataille de Chisech en Poitou, de messire Bertran du Guesclin, connétable de France, et les François d’une part, et les Anglois de l’autre.


Ces nouvelles vinrent au logis du connétable que les Anglois étoient là venus et arrêtés dalez le bois pour eux combattre. Tantôt le connétable tout coiement fit toutes ses gens armer et tenir en leur logis sans eux montrer, et tous ensemble ; et cuida de premier que les Anglois dussent, de saut, venir jusques à leurs logis pour eux combattre ; mais ils n’en firent rien, dont ils furent mal conseillés ; car si baudement ils fussent venus, ainsi qu’ils chevauchoient, et eux frappés en ces logis, les plusieurs supposent que ils eussent déconfi le connétable et ses gens, et avec tout ce, que cils de la garnison de Chisech fussent saillis hors, ainsi qu’ils firent.

Quand messire Robert Miton et messire Martin l’Escot virent apparoir les bannières et les pennons de leurs compagnons, si furent tous réjouis, et dirent : « Or tôt, armons-nous et nous partons de ci, car nos gens viennent combattre nos ennemis ; si est raison que nous soyons à la bataille. » Tantôt furent armés tout les compagnons de Chisech, et se trouvèrent bien soixante armures de fer. Si firent avaler le pont et ouvrir la porte, et se mirent tout hors, et clorre la porte et lever le pont après eux. Quand les François en virent l’ordonnance, qui se tenoient armés et tout cois en leur logis, si dirent : « Veci ceux du châtel qui sont issus et nous viennent combattre. » Là dit le connétable : « Laissez les traire avant, ils ne nous peuvent grever ; ils cuident que leurs gens doivent venir pour nous combattre tantôt ; mais je n’en vois nul apparant ; nous déconfirons ceux qui viennent, si aurons moins à faire. » Ainsi que ils se devisoient, evvous les deux chevaliers anglois et leur routes tout à pied, et en bonne ordonnance, les lances devant eux, écriant : « Saint George ! Guienne ! » et se fièrent en ces François ! Aussi ils furent moult bien recueillis. Là eut moult bonne escarmouche et dure, et fait moult grands appertises d’armes, car cils Anglois, qui n’étoient que un petit, se combattoient sagement, et détrioient toudis, en eux combattant, ce qu’ils pouvoient,