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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

mirent tantôt en l’obéissance du roi de France. Ledit connétable en prit les fois et les sermens qu’ils se tiendroient estables, et puis passa outre et s’en vint jusques à la bonne ville de Dinant. Cils de Dinant firent autel. Et puis chevauchèrent jusques à la cité de Vannes, qui se ouvrit aussi tantôt et se mit en l’ordonnance du connétable, et puis se rafraîchirent les Bretons et les François quatre jours. À leur département ils prirent le chemin de Suseniot, un moult bel châtel et maison de déduit pour le duc. Là y avoit aucuns Anglois qui la gardoient de par la duc, lesquels ne se vouldrent mie sitôt rendre ; mais se cloyrent et montrèrent grand’défense.

Quand le connétable fut revenu jusques à là et il vit la condition et manière des Anglois qui dedans étoient, si dit qu’il ne s’en partiroit mie ainsi. Si se logea, et fit toutes ses gens loger, et entrues que les varlets logeoient, traire avant à l’assaut les gens d’armes, qui rien n’y conquirent ni gagnèrent à ce premier assaut, fors horions. Si se retrairent au soir à leur logis et s’aidèrent de ce qu’ils eurent. À lendemain ils assaillirent : encore n’y firent-ils rien. Et les convint là être quatre jours, ainçois que ils pussent conquerre le châtel. Finablement il fut conquis et pris de force, et tous cils morts qui dedans étoient ; oncques pied n’en échappa. Et donna le châtel de Suseniot à un sien écuyer bon homme d’armes le dit connétable, qui s’appeloit Yvain de Mailli. Puis se délogèrent les François, et chevauchèrent devers Jugon, une bonne ville et un bon châtel ; ceux se rendirent tantôt et se mirent en l’obéissance dit roi de France. Et puis Goy la Forêt ; et puis la Roche Derrieu, Plaremiel, Château-Josselin, Faouet, Guingant, Saint-Mahieu de Fine Poterne et plusieurs villes de là environ, Garlande, Camperlé et Campercorentin.

Quand le comte de Salebrin et messire Guillaume de Neufville et messire Philippe de Courtenay et les Anglois qui se tenoient à Saint-Malo de l’Isle entendirent que le connétable et le sire de Cliçon et les barons de France et de Bretagne étoient entrés en Bretagne si efforcément que ils prenoient villes, cités et châteaux, et que tout le pays se tournoit vers eux, et si sentoient encore sur mer la grosse navie d’Espaigne et les François, si eurent conseil que ils se trairoient vers Brest ; là seroient-ils eux et leur navie plus à ségur, car le havène de Brest gît en bonne garde, et aussi ils y trouveraient de leurs compagnons, le seigneur de Neufville et messire Robert Canolles qui là se tenoient sur le confort de la forte place ; si auroient meilleur conseil tous l’un par l’autre. Si chargèrent leurs vaisseaux, et entrèrent ens, et se départirent de Saint-Malo de l’Isle : ce ne vint oncques mieux à point ; car ils eussent été à lendemain assiégés. À leur département ils fustèrent et robèrent toute la ville de Saint-Malo et puis singlèrent tant que ils vinrent à Hainebont. Là furent ils un jour ; et puis rentrèrent en mer, et s’en allèrent tout singlant devers Brest, et tant firent qu’ils y parvinrent. Si y furent reçus à grand’joie, et mirent toute leur navie au havène de Brest. Si se logèrent les seigneurs au châtel et toutes leurs gens en la ville ou en leur navie ; le connétable de France s’en vint à toutes ses routes, jusques à Saint-Malo de l’Isle. Si fut moult courroucé quand il sçut que les Anglois s’en étoient partis, car il venoit là sur cel entente et espoir que d’eux combattre ou assiéger. Si prit la saisine de la ville, et les fois et serments, et y ordonna gens de par lui ; et puis chevaucha à tout son grand host devers le châtel et la ville de Hainebont où il y avoit environ six vingt Anglois qui la tenoient ; et les y avoit laissés le comte de Salebrin quand il y fut, n’avoit point six jours. Si en étoit capitaine un écuyer anglois qui s’appeloit Tommelin Wick.


CHAPITRE CCCLXV.


Comment le châtel de Hainebont fut pris par messire Bertran du Guesclin.


Tant chevaucha le connétable et toute sa route, où bien avoit vingt mille combattans, que ils vinrent devant la ville de Hainebont. Si trouvèrent les portes closes et toutes gens appareillés ainsi que pour eux deffendre. Le connétable ce premier jour se logea et fit loger toutes ses gens, et à lendemain au matin, à heure de soleil levant, sonner les trompettes d’assaut, et quand ils furent tous armés, traire celle part et eux mettre en ordonnance pour assaillir. Ainsi firent cils de Hainebont. Anglois et Bretons qui dedans étoient s’appareillèrent tantôt pour eux deffendre. Bien savoit le connétable que de force, au cas que tous cils qui dedans Hainebont se logeoient se voudroient mettre à deffense, jamais ne les auroit ; mais il y trouva un grand avantage ; je vous