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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Brest de ce qu’ils n’avoient amené leurs chevaux avec eux, car, si ils les eussent, ils disoient bien qui ils eussent chevauché sur le pays et contre les François.

Tant s’exploitèrent le connétable de France et ces seigneurs de Bretagne et de France qui avec lui étoient, en prenant leur tour et revenant devers Nantes, que, ils vinrent devers Derval, qui se tenoit l’héritage de monseigneur Robert Canolles. Si l’avoient en garde messire Hue Broec et messire Reniers son frère. Sitôt que le connétable et ces barons de France et de Bretagne furent là venus, ils mirent le siége environnément, et firent grands bastides de tous lez pour mieux contraindre ceux de la forteresse. En ce temps s’avala le duc d’Anjou atout grands gens d’armes de Poitou, d’Anjou et du Maine, et s’en vint mettre le siége devant la Roche sur Yon ; et là y avoit bien mille lances, chevaliers et écuyers, et quatre mille d’autres gens ; et se partirent du connétable de France, par le mandement du duc d’Anjou, et vinrent devant la Roche sur Yon tenir le siége messire Jean de Bueil, messire Guillaume des Bordes, messire Louis de Saint-Julien et Charuel, Bretons, et leurs routes. Et devez savoir que en celle saison toutes les guerres et les gens d’armes, de quelque marche qu’ils fussent, se traioient en Bretagne, car ils n’avoient que faire d’autre part, et aussi le roi de France les envoyoit là tous les jours.

Quand les nouvelles furent venues en l’ost du connétable de France, que le comte de Sallebrin et les Anglois qui en Brest se tenoient, ceux qui furent devant Hainebont, étoient partis et retraits en mer, si furent moult joyeux, et en tinrent leur guerre à plus belle ; et s’avisèrent que ils envoyeroient une partie de leurs gens devant Brest et mettroient là le siége ; car ils étoient forts assez pour ce faire, et enclorroient monseigneur Robert Canolles tellement dedans Brest que il n’en pourroit issir pour venir conforter ni conseiller ses gens qui en sa forteresse de Derval étoient. Si très tôt que ils eurent ce imaginé, ils tinrent ce conseil à bon, et se départirent du siége de Derval le sire de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Léon, le sire de Beaumanoir, le sire de Rais, le sire de Rieux, le sire d’Avaugour, le sire de Malestroit, le sire de Pont, le sire de Rochefort, et bien mille lances de bonnes gens d’armes, et s’en vinrent mettre le siége devant Brest et enclorre monseigneur Robert Canolles dedans, par si bonne guise et ordonnance que un oiselet par terre n’en fût point issu qu’il n’eût été vu. Ainsi tinrent les gens du roi de France en celle saison quatre siéges en France, en Bretagne et en Normandie, devant Becherel les Bretons, devant Brest et Derval les Poitevins, et les Angevins devant la Roche sur Yon.

Le siége pendant devant Derval, y furent faites plusieurs escarmouches, assauts et paletis ; et presque tous les jours y avenoient aucuns faits d’armes. Quand messire Hue Broec et son frère qui capitaines en étoient, virent la manière et ordonnance du connétable et de ces seigneurs de France qui là étoient grandement et étoffément et qui moult les oppressoient, et si ne leur apparoît nul confort de nul côté, ni point de leur état ne pouvoient signifier à leur cousin messire Robert Canolles, et avoient entendu que le duc d’Anjou étoit avalé moult près de là qui trop fort les menaçoit, si eurent conseil que ils traiteroient un répit, et se mettroient en composition devers le connétable, que : si, dedans quarante jours, ils n’étoient secourus et confortés de gens forts assez pour lever le siége, ils rendroient la forteresse au connétable. Si envoyèrent sur asségurances parlementer ces traités en l’ost au dit connétable. Le connétable répondit que rien n’en feroit sans le sçu du duc d’Anjou. Encore vouldrent bien cils de Derval attendre la réponse dudit duc. Si furent signifiés au duc tous les traités, ainsi qu’ils se devoient porter, mais que il s’y accordât. Le duc n’en voult de rien aller au contraire, mais en rescripsit au connétable que, au nom de Dieu il acceptât, au cas que cils de Derval, pour tenir ce marché, livrassent bons plèges. Sur cel état furent-ils quatre jours que ils n’en vouloient nuls livrer, fors leurs scellés ; mais le connétable disoit que sans bons ôtages, chevaliers et écuyers, il ne donneroit nulle souffrance. Finablement messire Hue Broec et son frère Renier virent et connurent bien que ils ne fineroient autrement, si ils ne livroient plèges : si livrèrent deux chevaliers et deux écuyers qui furent tantôt envoyés à la Roche sur Yon devers le duc d’Anjou. Et fut cette composition faite par ordonnance telle : que cils de Derval ne pouvoient ni ne devoient nullui