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LIVRE I. — PARTIE II.

recueillir en leur forteresse qui ne fût fort assez pour lever le siége. Pour ce ne se deffit mie le principal siége de Derval ; mais y laissa le connétable plus de quatre mille combattans de Bretagne, de Limosin, d’Auvergne et de Bourgogne, et puis atout cinq cents lances, il chevaucha vers la cité de Nantes, car encore n’y avoit-il point été.

Quand le connétable de France fut venu jusques à Nantes, si trouva les portes de la cité closes et une partie des bourgeois venus au devant de lui, et eux mis entre les portes et les barrières, et n’y avoit ouvert tant seulement que les postils. Là parlementèrent les hommes de la ville moult longuement au connétable ; et avoient ceux de la cité fermé contre lui les portes pour ce qu’il venoit à mains armées, et vinrent là à savoir son intention. Le connétable leur dit qu’il étoit envoyé et institué de par le roi de France, leur seigneur, pour prendre la possession de la duché, et que messire Jean de Montfort, qui s’en étoit appelé duc, l’avoit forfait. Les bourgeois de Nantes demandèrent à avoir conseil pour répondre. Quand ils se furent longuement conseillés, ils se trairent avant et dirent : « Cher sire, il nous vient à grand’merveille de ce que on prend ainsi à monseigneur le duc son héritage ; car le roi de France le nous commanda jadis à recevoir à duc et à seigneur. Si lui avons juré féaulté et hommage, et il nous a juré et promis à gouverner comme sujets. Et ce nous a-t-il tenu, et n’avons encore en lui sçu nulle cause de fraude ni de soupçon. Si vous venez en cette ville par vertu de la procuration que vous avez, nous accordons que vous y entriez, par condition que, s’il advient que le duc de Bretagne retourne en ce pays et veuille être bon François, de l’accord des prélats, barons, gentils hommes et bonnes villes de Bretagne, nous le reconnoîtrons à seigneur et nous serons quittes, sans dommages avoir, ni ores ni autre fois ; et ne consentirez à nous faire moleste ni violence nulle ; et ne recevrez les rentes, ni les revenus, ni émolumens de Bretagne ; ains seront mises en dépôt devers nous jusques à ce que nous ayons autres nouvelles qui mieux nous plairont espoir que cettes. » Lors voulurent voir la commission du dit connétable et la firent lire.

Quand ils l’eurent ouy, le connétable leur demanda qu’il leur en sembloit, et si elle étoit point bonne ; et ils répondirent que ils la tenoient bien à bonne, et le vouloient bien recevoir comme commissaire du roi de France, et jurer que ils seroient toudis et demeureroient bons François, et ne lairoient Anglois nul entrer en la cité qui ne fût plus fort d’eux ; mais jà ils ne relinquiroient leur naturel seigneur qui tenoit leur foi et leurs hommages, pour chose qu’il ait encore fait, sauf tant que à main armée ; ni homme qui fût avec lui, s’il venoit jusques à là, ils ne le souffriroient entrer en leurs portes ; et si il venoit à accord devers le roi de France, ils vouloient être quittes de toutes obligations que faites avoient présentement au connétable. Messire Bertran qui en tout ce ne véoit fors que loyauté, leur répondit : que il ne le vouloit autrement, et que si le duc de Bretagne voulsist être bon François et ami au roi de France et à son pays, il y fût demeuré en paix ; « et quand il se voudra reconnoître, il aura grâce de notre très cher seigneur et redouté le roi ; mais tant que il tienne cette opinion il ne lèvera de Bretagne nul des profits. » Ainsi entra le connétable de France en la cité de Nantes et y séjourna huit jours, et en prit la saisine et possession ; mais il n’y fit rien de nouvel. Au neuvième jour, il s’en partit et s’en vint demeurer en un village de-lez Nantes, en un beau manoir qui est du duc, séant sur la rivière de Loire : si oyoit tous les jours nouvelles des siéges qui se tenoient en Bretagne, et aussi du duc d’Anjou qui séoit devant la Roche sur Yon, et du roi de France qui moult l’aimoit, pour tant qu’il entendoit si parfaitement à ses besognes.


CHAPITRE CCCLXVII.


De l’appareil du roi d’Angleterre et du duc de Lancastre, et du reconquêt de la Roche sur Yon.


Vous avez bien ci dessus ouy parler et recorder du duc de Bretagne, comment il se départit de son pays et s’en alla en Angleterre, en cause que pour querre aide et confort du roi en quel nom il avoit perdu tout son pays. Bien savoit ce duc que les besognes pour lui en son pays se portoient assez petitement : si exploita tant devers le roi que le roi ordonna son fils le duc de Lancastre à passer mer a tout deux mille armures de fer, chevaliers et écuyers, et quatre mille archers ; et de ces gens d’armes seroient condui-