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LIVRE I. — PARTIE II.

moult bel et haut mariage pour lui en Picardie, de la fille au seigneur de Roye, de quoi le père étoit prisonnier et en grand danger en Angleterre devers le roi. Messire Olivier fit traiter devers le lignage du seigneur de Roye comment il pourroit avoir sa fille. On lui répondit que, s’il pouvoit tant faire par moyens que il délivrât le seigneur de Roye, il auroit sa fille qui étoit taillée d’avoir et tenir trois mille francs par an de revenue, car le père étoit mais un vieux chevalier. Adonc monseigneur Olivier de Mauny exploita sur cel estat et mit gens en œuvre ; et fut demandé au roi d’Angleterre lequel des prisonniers qui étoient en Espaigne il avoit plus cher à donner et à voir la délivrance pour le baron de Roye, ou monseigneur Guichart d’Angle, ou monseigneur Othe de Grandson. Le roi d’Angleterre répondit que il s’inclinoit plus à monseigneur Guichart que à monseigneur Othe. Quand on sçut son intention, messire Olivier de Mauny fit traiter devers le roi Henry et rendit celle terre de Grète que il tenoit, pour monseigneur Guichart d’Angle et Guillaume d’Angle son neveu ; et tantôt se fit l’échange du baron de Roye pour ces deux. Si revint le sire de Roye en France ; et messire Olivier de Mauny épousa sa fille, et puis tint toute la terre du seigneur, car il ne vesqui mie puis longuement. Et messire Guichart et son neveu furent délivrés, et allèrent en Angleterre où ils furent liement reçus ; et retint le roi de son conseil et de-lez lui monseigneur Guichart, lequel renonça à tout ce que il tenoit en Poitou et remanda sa femme et ses enfans, et les fit passer par mer et venir en Angleterre. Avec la renonciation il remercia grandement le duc de Berry de ce que il avoit tenu sa femme et sa terre en paix le temps que il avoit été tenu prisonnier en Castille.


CHAPITRE CCCLXXVI.


Des négociations entre les deux princes françois et anglois, par les légats du pape Grégoire.


En ce temps s’avisa le pape Grégoire onzième qui se tenoit en Avignon, par la promotion d’aucuns cardinaux, que il envoieroit deux cardinaux, suffisans hommes et bons clercs, en légation en France pour traiter paix, accord ou respit entre les parties de France et d’Angleterre. Si y furent élus et ordonnés l’archevêque de Ravenne et l’évêque de Carpentras, qui tantôt se départirent d’Avignon en grand arroy et chevauchèrent parmi France ; et exploitèrent tant que ils vinrent à Paris où bénignement ils furent reçus du roi de France et du duc d’Anjou. Si leur remontrèrent sur quel état ils étoient partis d’Avignon et là envoyés du pape et du saint collége. Le roi et le duc d’Anjou entendirent volontiers à leurs paroles, et consentirent assez que ils chevauchassent vers les Anglois, le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, par quoi ils sçussent de leur entente aucune chose ; et leur fut dit que encore ils trouveroient le connétable et le seigneur de Cliçon qui étoient rechargés du fait des guerres et auxquels il en appartenoit à parler.

Adonc ces deux légats de rechef montèrent à cheval, et toutes leurs routes, et chevauchèrent devers Troyes.

Si exploitèrent tant que ils y parvinrent ; et là trouvèrent le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, le connétable et foison de grands seigneurs desquels ils furent les bien venus ; et remontrèrent aux deux ducs, au connétable et au seigneur de Cliçon pour quoi ils étoient là venus et qui les y avoit envoyés. Cils deux seigneurs répondirent que du tout à eux n’en appartenoit mie, et que autant en touchoit il aux Anglois de leur partie comme il faisoit à eux ; mais volontiers, puisque il plaisoit au roi de France, et que notre saint père le mandoit, ils y entendroient. Ainsi se tinrent les deux légats en la cité de Troyes trois jours, tant que le duc de Lancastre et le duc de Bretagne et les Anglois furent venus devant Troyes. Et là se logèrent sur celle rivière de Saine bien et faiticement ; et vinrent les deux maréchaux escarmoucher aux barrières aux gens d’armes qui là étoient, et courir devant les portes. Et à la porte de Bourgogne revint le connétable, le sire Despensier, faire aussi son envaye ; et descendit à pied devant les barrières, et vint main à main combattre aux chevaliers qui là étoient ; et y fut le sire Despensier très bon chevalier, et y fit plusieurs apertises d’armes. Entrues que les deux ducs étoient là arrêtés et que ils laissoient leurs gens convenir d’escarmoucher et de courir le pays d’environ Troyes, issirent les deux légats ; et vinrent en leurs tentes remontrer aux ducs, le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, ce