Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/757

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1374]
689
LIVRE I. — PARTIE II.

ou le roi de France, ou le roi d’Angleterre, ou personne de par eux, à celui il reconnoîtroit hommage et obéissance, et feroit reconnoître tous ceux de ses terres en débat ; et pour entériner et accomplir, en cause de plus grand segurté, il livreroit bons pléges, six chevaliers et six écuyers. Le duc d’Anjou fut adonc si conseillé que il entendit à ces traités et les accepta, et retourna arrière à Pierregort ; mais il ne donna à nul de ses gens d’armes congé ; ainçois les tenoit sur le pays, pourtant qu’il vouloit y être fort à la journée qui étoit assignée devant Monsach. À ces traités faire, du côté du comte de Foix rendirent grand’peine l’abbé de Saint-Silvier et le sire de Marsan.

Tout ce sçurent bien le duc de Lancastre et le duc de Bretagne qui se tenoient à Bordeaux ; et étoient retournés une partie de leurs gens en Angleterre. L’archevêque de Ravenne et l’évêque de Carpentras, qui légats étoient, travailloient fort que un répit fût pris et accordé entre le duc d’Anjou et le duc de Lancastre ; et exploitèrent tant que le duc de Lancastre envoya trois de ses chevaliers à Pierregort pour parler au duc d’Anjou, au connétable et à leur conseil. Cils chevaliers furent le sire d’Aubeterre, le chanoine de Robersart, messire Guillaume Helman et monseigneur Thomas Douville. Si furent cils quatre chevaliers reçus, avec les traiteurs du duc d’Anjou, moult doucement, et rendoit le connétable grand’peine que unes trêves fussent prises entre ces parties. Tant fut parlementé pour traité et allé de l’un à l’autre, que unes trêves furent prises à durer jusques au darrain jour d’août. Et cuidèrent adonc les Anglois, dont ils furent déçus, que la journée de Monsach dût être enclose en la trêve.


CHAPITRE CCCLXXIX.


Comment se partit le duc de Lancastre pour Angleterre, et comment demeura le chastel de Becherel en composition aux François.


Quand cette trêve fut accordée par l’aide et pourchas des légats dessus nommés, le duc de Lancastre et le duc de Bretagne s’ordonnèrent à partir et retourner en Angleterre, car ils avoient été jà près d’un an hors ; et aussi toutes leurs gens le désiroient ; et si tiroit le duc de Bretagne que il pût avoir une année à part lui pour arriver en Bretagne et conforter aucunes forteresses qui se tenoient en son nom et lever le siége de Becherel ; car moult désiroit à avoir nouvelles de sa femme qu’il avoit laissée au châtel d’Auroy en la garde de monseigneur Jean Augustin. Si que ces choses aidèrent moult à ce que le duc de Lancastre se partit. Si institua et ordonna à son département, à être grand sénéchal de Bordeaux et de Bordelois, monseigneur Thomas de Felleton, et pria aux barons de Gascogne qui pour lui se tenoient, que ils voulsissent obéir à lui comme à son lieutenant, et tellement conseiller que ils n’y eussent point de blâme ni il point de dommage. Ils lui eurent tout en couvent de bonne volonté. Et sur cel état se départit, et toute sa route, et s’en retournèrent en Angleterre[1]. De ce département ne furent mie courroucés le duc d’Anjou, le connétable, ni les seigneurs de France qui à Pierregort se tenoient ; car leur intention de la journée de Monsach en fût grant grandement embellie.

Or parlerons un petit du siége de Becherel, qui s’étoit tenu un an et plus sans ceux de la garnison être nient rafraîchis ; car ils étoient si près guettés de tous côtés que rien ne leur pouvoit venir ; et si ne leur apparoit confort de nul côté. Quand ils virent que leurs pourvéances commencèrent à affoiblir, et que longuement ils ne pouvoient demeurer en cel état, ils se avisèrent que ils traiteroient un répit devers ces seigneurs de France et de Normandie qui là tenoient le siége, que : si ils n’étoient confortés de gens forts assez pour combattre les François dedans le jour de la Toussaint, ils rendroient la forteresse : si envoyèrent un hérault pour mouvoir celui traité. Le maréchal de Blainville et les seigneurs qui là étoient, répondirent à ce commencement, que nul traité n’appartenoit à eux à donner ni ouïr sans le sçu du roi de France, mais volontiers envoyeroient devers lui et lui signifieroient tout cel état. Le hérault rapporta cette réponse aux capitaines de Becherel, monseigneur Jean Appert et monseigneur Jean de Cornouaille. Si leur plut bien cette réponse, et aussi que ils envoyassent hâtement devers le roi de

    même que la journée de bataille dont parle Walsingham ; d’où il résulte que le rendez-vous était auprès de Moissac et non auprès de Marziac.

  1. Suivant les Chroniques de France, le duc de Lancastre s’embarqua pour l’Angleterre au mois d’avril.