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LIVRE I. — PARTIE II.

En ce temps que ces chevauchées se faisoient, étoient revenus en la marche de Picardie les deux traiteurs légats, et se tenoient à Saint-Omer. Et avoient leurs messages allans et venans en Angleterre devers le roi et son conseil, et aussi à Paris, devers le roi de France, pour impétrer un bon répit ; et en ce répit durant, c’étoit leur entention qu’ils mettroient toutes parties à accord. Et à ce que j’entendis adonc, ils étoient volontiers ouys du roi d’Angleterre et de son conseil, car ils véoient que par toutes les mettes et limitations où ils tenoient terres, villes, châteaux et pays, ils se perdoient à peu de fait pour eux ; et si ne savoient comment donner conseil ni remédier. Et par espécial trop fort déplaisoit au roi d’Angleterre en cœur de ce que le duc de Bretagne avoit ainsi et à petite occasion perdu son héritage pour l’amour de lui. Si travaillèrent tant ces deux légats que le roi d’Angleterre accorda que son fils, le duc de Lancastre, passeroit mer et viendroit à Calais pour ouyr et savoir pleinement quelle chose les François vouloient dire. Aussi le roi de France accorda et scella que son frère, le duc d’Anjou, viendroit contre lui à Saint-Omer, et par le moyen de discrètes et vénérables personnes, l’archevêque de Ravenne et l’évêque de Carpentras, ils se lairoient conseiller et gouverner. Si que, si très tôt que le duc d’Anjou, les barons de France et de Bretagne eurent fait cette darraine chevauchée ils furent coiteusement remandés du roi de France, et escript, que, tantôt et sans délai, ils retournassent en France, et que il avoit accordé son frère à être contre celle Toussaints à Saint-Omer ; car le duc de Lancastre devoit être à Calais, et il touchoit grandement aux barons de Bretagne pour le fait de Becherel. Le duc d’Anjou, le connétable de France, le sire de Cliçon et les autres se partirent de Rouergue au plus tôt qu’ils purent, les lettres du roi vues et ouyes, sans tourner à Toulouse, et donnèrent congé à toutes manières de gens d’armes de lointaines marches, et ne retint avec lui le duc fors les Bretons : si s’en retourna en France[1] où il fut grandement fêté et conjouy, et toute sa compagnie, du roi et de tout son conseil.


CHAPITRE CCCLXXXI.


Comment le comte de Saint-Pol fut pris par le seigneur de Gommignies.


En ce temps étoient les marches de Picardie trop bien garnies de bonnes gens d’armes, car messire Hue de Châtillon, maître des arbalétriers, qui nouvellement étoit retourné d’Angleterre, se tenoit en garnison à Abbeville atout grand’foison de gens d’armes et tous bons compagnons, et désiroit grandement à soi contrevenger pour les contraires et déplais que on lui avoit fait en Angleterre nouvellement ; car, ainsi que dit est en cette histoire, il fut pris au dehors d’Abbeville par l’embuche monseigneur Nicole de Louvaing qui ne le voult mettre à finance, mais il trouva voye et pourchas fait par madame sa femme, comment il fut délivré par un maronnier de l’Écluse en Flandres qui se mit en l’aventure de lui aller querre en la marche de Northombrelant ; et fit tant toutes fois qu’il le ramena en Flandres. Je m’en passerai assez brièvement, car la matière en seroit trop longue à demener. Quand il fut revenu on lui rendit son office, ainsi que devant, d’être nommé monseigneur le maître. Si se tenoit en la ville d’Abbeville et chevauchoit à la fois ens et hors, ainsi que mieux lui plaisoit.

De Dieppe sur mer étoit capitaine messire Henri des Isles, un moult appert chevalier ; de Boulogne, messire Jean de Longvillers ; de Montereul, monseigneur Guillaume de Nielle ; de Rue, le châtelain de Beauvais ; et toutes ces garnisons françoises de là environ étoient trop bien pourvues de bonnes gens d’armes ; et bien besognoit, car les Anglois étoient aussi moult forts sur leur marche. Pour ce temps étoit capitaine de Calais messire Jean de Burlé, et son lieutenant messire Gautier d’Everues ; de Guines,

  1. Le duc d’Anjou ne revint en France que vers le commencement du mois de mars de l’année suivante, 1375. Il ne put donc arriver à temps pour se trouver à l’ouverture des conférences qui avaient commencé dans les deux derniers mois de l’année précédente. Il est même prouvé, par les chartes des trêves conclues dans le cours de l’année 1375, qu’il n’eut part à aucune des négociations dont elles furent le fruit, ainsi qu’on peut s’en convaincre en parcourant les différentes chartes que Rymer a publiées dans son recueil. Froissart aura probablement confondu ces négociations avec celles qui eurent lieu au commencement de l’année 1376, et procurèrent une prolongation de trêve, et dans lesquels le duc d’Anjou joua effectivement le principal rôle. La charte de cette prolongation a été pareillement publiée par Rymer.