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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

messire Jehan de Harleston ; et d’Ardre, le sire de Gommignies. Or avint que messire Gautier d’Éverues, messire Jean de Harleston et le sire de Gommignies furent en parlement et en conseil ensemble de chevaucher ; et s’accordèrent l’un à l’autre, et firent leur assemblée et leur amas dedans la bastide d’Ardre, et s’en partirent au point du jour bien largement huit vingt lances, et chevauchèrent devers Boulogne. Ce propre jour au matin étoit parti de Boulogne messire Jean de Longvillers à soixante lances, et avoit chevauché vers Calais pour trouver aucune aventure. Ainsi que tout le pas il s’en retournoit, et pouvoit être environ deux lieues près de Boulogne, il encontra sur son chemin le seigneur de Gommignies et sa route. Sitôt que les Anglois les perçurent ils furent moult réjouis, et écrièrent leur cri, et férirent chevaux des éperons, et se boutèrent entr’eux et les espardirent, et en ruèrent jus jusques à quatorze qu’ils tinrent pour prisonniers. Les autres se sauvèrent par leurs bons coursiers et par l’avantage qu’ils prirent, et rentrèrent tout à point en la ville de Boulogne : si furent ils chassés jusques aux barrières. Après celle chasse les Anglois se recueillirent et se mirent au chemin pour revenir vers Ardre par une adresse que on dit au pays l’Iveline, et tout droit devers Alequine, un beau verd chemin.

Ce propre jour avoit fait sa montre messire Hue de Châtillon, qu’on dit monseigneur le maître, et avoit avec lui tous ces capitaines de là environ ; et étoient bien quatre cents lances. Le jeune comte de Saint-Pol, messire Walleran, étoit tout nouvellement revenu de sa terre de Lorraine, et n’avoit mie séjourné à Saint-Pol trois jours, quand, par dévotion, il s’étoit parti pour aller en pèlerinage à Notre-Dame de Boulogne : si ouït dire sur son chemin que monseigneur le maître et cils François chevauchoient : si lui vint en avis que ce lui seroit blâme et vergogne, puisque il savoit leurs gens sur le pays qui chevauchoient, s’il ne se mettoit en leur compagnie ; et n’y voult trouver nulle excusance, ainsi que un jeune chevalier qui se désire à avancer et qui quert les armes ; et s’en vint ce propre jour au matin, avec monseigneur Hue de Châtillon et les autres compagnons, qui furent tout réjouis de sa venue. Si chevauchèrent liement ensemble celle matinée vers Ardre ; et rien ne savoient des Anglois, ni les Anglois d’eux ; et cuidoient les François que les Anglois fussent en Ardre ; et vinrent jusques à là et firent leur montre et leur course devant les barrières ; et quand ils eurent là été une espace ils s’en retournèrent et prirent leur chemin devers Liques et devers Tournehen.

Si très tôt que les François se furent partis de devant Ardre et mis au retour, en chevauchant moult bellement, un Anglois issit de la ville d’Ardre et se mit à voie couvertement à l’aventure, pour savoir si jamais il trouveroit leurs gens pour recorder ces riches nouvelles. Et tant alla et tant vint de long et de travers que sur son chemin d’aventure il trouva le seigneur de Gommignies, monseigneur Gaultier d’Éverues et monseigneur Jean de Harleston. Si s’arrêta à eux et eux à lui ; et leur conta comment les François chevauchoient et avoient fait leur montre devant Ardre. « Et quel chemin tiennent-ils ? » dirent les chevaliers. « Par ma foi, mes seigneurs, ils prirent le chemin pour aller vers Liques ; car, encore, depuis que je me suis parti, je les ai vus sur le mont de Tournehen ; et crois qu’ils ne soient pas loin de ci. Tirez sur dextre en côtoyant Liques et Tournehen, j’ai espoir que vous les trouverez, car ils chevauchent tout le pas. » Adonc recueillirent cils trois chevaliers tous leurs compagnons et remirent ensemble, et chevauchèrent tout le pas, la bannière du seigneur de Gommignies tout devant, et les deux pennons des deux autres chevaliers de lez.

Ainsi que les François eurent passé Tournehen et qu’ils tiroient à aller vers Liques, ils ouïrent nouvelles de ceux du pays, et furent signifiés que les Anglois chevauchoient et étoient hors d’Ardre : si en furent trop malement joyeux, et dirent qu’ils ne demandoient ni quéroient autre chose ; et faisoient trop grand’enquête où ils en pourroient ouïr nouvelles, car ils faisoient doute qu’ils ne les perdissent. Et furent sus un état une espace qu’ils se départiroient en deux chevauchées pour eux trouver plus prestement ; et puis brisèrent ces propos, et dirent, tout considéré, qu’il valoit mieux qu’ils chevauchassent tout ensemble. Si chevauchèrent baudement, bannières et pennons ventilans, car il faisoit bel et joli. Et trop étoit courroucé le comte de Saint-Pol qu’il n’avoit tout son arroy, et espéciaument sa bannière ; car il l’eût boutée hors ;