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LIVRE I. — PARTIE II.

chef ne leur avint ; car, par espécial, ils se sentoient fort haïs du duc, pourtant que ils lui avoient été trop contraires. Si envoyèrent devers le duc de Bretagne un héraut qui remontra leur entente, avec lettres de créance qu’il portoit. Le duc à leurs offres ne voult onques entendre, mais en répondit tantôt et dit : « Héraut, retournez et leur dites de par moi, que je n’en prendrai jà nul, s’ils ne se rendent simplement. » Donc dit le héraut (je ne sais s’il en étoit chargé de parler si avant ; je crois bien oil) : « Cher sire, ce seroit grand’dureté, si pour loyaument servir leur seigneur ils se mettoient en tel danger. » — « Leur seigneur ! répondit le duc de Bretagne ; ils n’ont autre seigneur que moi ; et si je les tiens, ainsi que j’ai espérance que je ferai, je leur remontrerai que je suis leur sire : si que, héraut, retournez ; vous n’emporterez autre chose de moi. » Le héraut retourna, et fit sa réponse à ses seigneurs, tout ainsi, ni plus ni moins, que vous avez ouï.

De ces nouvelles ne furent mie le sire de Cliçon ni les autres bien réjouis ; car tantôt ils eurent l’assaut à la main, et les convint r’aller à leur labeur, ainsi qu’il faut gens d’armes qui sont en dur parti ; car très le premier jour eussent-ils été pris et conquis si très vassaument ils ne se fussent deffendus. Finablement ils regardèrent que il ne se pourroient tenir que, dedans cinq ou six jours, de force ils ne fussent pris et conquis ; et encore ne savoient-ils si on les minoit ou non : c’étoit une chose qui bien faisoit à ressoigner pour eus. Si eurent un autre conseil de traité, lequel ils mirent avant ; et envoyèrent devant le duc de Bretagne, que si, dedans quinze jours, ils n’étoient secourus ou confortés par quelque manière que ce fût, ils se rendroient simplement en la volonté du duc. Quand le duc de Bretagne ouït ces traités, si lui furent plus plaisans assez que les autres ; et s’en conseilla au comte de Cantebruge et aux barons d’Angleterre qui là étoient. En ce conseil y eut plusieurs paroles retournées ; et regardoient trop fort, en imaginant les aventures, de quel part confort leur pourroit venir ; mais nullement ils ne lui savoient voir ni trouver, si ce n’étoit du comté de Saint-Sauveur-le-Vicomte où le connétable de France et les François étoient efforcément. De ce faisoient-ils la greigneur doute, et pourtant ils se assentirent à ce traité : mais ils ne vouldrent donner que huit jours de souffrance ; encore ne le faisoient-ils mie volontiers. Et furent tout joyeux le sire de Cliçon et ses compagnons quand ils les purent avoir.

Ainsi demeurèrent cils cinq barons de Bretagne en souffrance, et la ville de Camperlé aussi ; et toudis se tenoit le siége. Si devez bien croire et savoir qu’ils n’étoient mie à leur aise, quand ils se sentoient en tel danger que en la volonté de leurs ennemis, et par espécial du duc qui les haïoit à mort, et qui bien disoit que jà n’en prendroit nulle rançon. De leur fortune et de leur aventure se doutoit bien le roi de France, et avoit cinq ou six coureurs à cheval nuit et jour allans et venans de Paris en Bretagne et de Bretagne à Paris, et qui du jour à lendemain rapportoient nouvelles de cent ou de quatre-vingt lieues long, par les chevaux de quoi ils se rafreschissoient de ville en ville. Et en tel manière il avoit autres messages qui ainsi s’exploitoient de Bruges à Paris et de Paris à Bruges ; par quoi tous les jours il savoit les traités qui là se faisoient.

Si très tôt qu’il sçut l’avenue de Camperlé, il se hâta d’envoyer devers son frère le duc d’Anjou ; et lui manda étroitement, à quel meschef que ce fût, il fit clorre ces traités et prit trêves aux Anglois pour toutes les mettes et limitations de France, et lui spécifia la cause pour quoi. Tantôt le duc d’Anjou, qui avoit les légats à la main, mit main à l’œuvre, et accorda unes trêves, sur quel état il étoit, à durer jusques au premier jour de mai l’an mil trois cents soixante seize[1]. Et eurent en convent les deux ducs de revenir et de retourner à la Toussaints à Bruges ; et devoit le duc de Lancastre amener avec lui le duc de Bretagne ; et le duc d’Anjou promettoit que il seroit pour lui en tous états, et le mettroit à accord de la duché de Bretagne envers son frère le roi de France.

Tantôt la chartre de la trêve fut escripte,

  1. Ces trêves furent conclues à Bruges, par le duc de Bourgogne et le duc de Lancastre, le 27 juin de cette année, pour durer jusqu’au dernier jour du même mois de l’année 1376. Les chartes en ont été publiées par Rymer. Pendant la négociation qui procura cette trêve, les plénipotentiaires, d’accord avec les légats du pape, arrêtèrent les articles d’une autre trêve de quarante ans ; mais ce traité ne fut pas ratifié et demeura sans effet ; on le trouve tout entier dans les preuves de l’Histoire de Bretagne.