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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

même. Si en répondit son entente, que volontiers s’en ensonnieroit, mais que le roi y voulut mettre aucune chose du sien, et lui prêter aussi aucune finance pour payer leurs menus frais, et pour acquerre amis et les passages, tant en Bourgogne et en Aussay[1] que sur la rivière du Rhin, où il leur convenoit passer et aller, si ils vouloient entrer en Osteriche. Le roi de France n’avoit cure quel marché il fît, mais que il vît son royaume délivré de ces Compagnies. Si lui accorda toutes ses demandes ; et fina pour lui par devers les Compagnies, et leur délivra grand argent, mal employé, ainsi que vous orrez recorder temprement ; car oncques gens ne s’acquittèrent pis envers seigneurs qu’ils se acquittèrent envers le seigneur de Coucy. Ils prirent son or et son argent ; et si ne lui firent nul service.

Environ la Saint-Michel trois cent soixante et quinze se départirent ces Compagnies et ces gens d’armes, Bretons et autres nations, du royaume de France, et passèrent parmi Lorraine où ils firent moult de destourbiers et de dangers ; et pillèrent plusieurs villes et châteaux, et foison du plat pays ; et eurent de l’or et de l’argent à leur entente de ceux de Metz en Lorraine. Quand cils d’Aussay, qui se tenoient pour le duc de Lucembourg et de Brabant, en virent la manière, si se doutèrent de ces males gens que ils ne leur fissent à souffrir, et se cloyrent. Et mandèrent les barons d’Aussay au seigneur de Coucy et aux barons de Bourgogne qui avec lui étoient, le seigneur de Vergy et autres, que point ne passeroient parmi leur pays au cas que ils se voudroient ainsi maintenir. Le sire de Coucy mit son conseil ensemble, car il avoit là grand’foison de bonne chevalerie de France, monseigneur Raoul de Coucy son oncle, le vicomte de Meaux, le seigneur de Roye, monseigneur Raoul de Raineval, le seigneur de Hangest, messire Hue de Roussi et plusieurs autres. Si que, eux conseillés, ils regardèrent que les seigneurs et le pays d’Aussay avoient droit. Si prièrent moult doucement aux capitaines des Compagnies et aux Bretons et Bourguignons, que ils voulsissent courtoisement passer et faire passer leurs gens parmi Aussay, parquoi le pays leur fût ouvert, et qu’ils pussent faire leur fait et leur emprise. Ils l’eurent tout en convent volontiers, mais depuis ils n’en tinrent rien. Toutes fois au passer et à l’entrer en Aussay ils furent assez courtois.


CHAPITRE CCCLXXXVII.


Ci parle des parlements qui de rechef furent assignés à Bruges, et des fêtes qui furent données à Gand.


Or parlerons des parlements qui furent assignés à Bruges. Et est vérité que à la Toussaints le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, pour la partie du roi d’Angleterre, y vinrent moult étoffément et en grand arroy : aussi firent le duc d’Anjou et le duc de Bourgogne. Et remontroit chacun de ces seigneurs sa grandeur et sa puissance.

Si fit le duc de Bourgogne en ce temps une très grand’fête de joûte en la ville de Gand en Flandres, de cinquante chevaliers et de cinquante écuyers de dedans. Et furent à celle fête grand’foison de hauts seigneurs et de nobles dames, tant pour honorer le duc de Bourgogne que pour voir l’état des ducs qui là étoient, le duc d’Anjou, le duc de Lancastre et le duc de Bretagne. Si y furent le duc de Brabant et madame sa femme, et le duc Aubert et sa femme, et la ducoise de Bourgogne. Si furent ces joûtes bien fêtées et dansées, et par quatre jours joûtées. Et tint là adonc le comte de Flandre grand état et puissant, en honorant et exhaussant la fête de son fils et de sa fille, et en remontrant sa richesse et sa puissance à ces seigneurs étrangers de France, d’Angleterre et d’Allemagne. Quand ces joûtes furent passées et les seigneurs retraits, si retournèrent à Bruges le duc d’Anjou, le duc de Bourgogne et leurs consaux : ainsi firent le duc de Lancastre, le duc de Bretagne et les consaux d’Angleterre et les deux légats traiteurs. Si se commencèrent à entamer et à proposer parlement et traité, et les légats à aller de l’un à l’autre, qui portoient ces paroles qui peu venoient à effet ; car chacun se tenoit si fier et si grand que raison n’y pouvoit descendre. Le roi d’Angleterre demandoit choses impossibles pour lui, ce que les François n’eussent jamais fait : toutes les terres que le roi de France ou ses gens avoient conquis sur lui, et tout l’argent qui étoit à payer quand la devant dite paix fut rompue, délivré le captal

  1. C’était ainsi qu’on appelait l’Alsace.